Le gouvernement annonce le doublement du budget alloué à la « vidéoprotection ». Objectif : tripler les caméras.
On passe de 10 à 20 millions d'euros d'ici 2010. Mais soyons précis : ce plan est un plan de cofinancement pour aider les communes à s'équiper. Ça va donc se passer comme ça : des commerciaux de grosses boites de sécurité vont aller voir des maires traumatisés par l'insécurité et leur étaler une galaxie de supers systèmes high-tech, de la caméra cachée à reconnaissance faciale au drone télécommandé qui se balade tout seul en banlieue.
Alléché, le maire va se lancer dans un projet que l'Etat va aider à financer au départ mais qui va exploser pour les années suivantes (personnel, entretien, mises aux normes…) et… qui ne sert à rien.
De l'image non visionnée à l'interdiction de porter un masque
Les rapports des experts et chercheurs n'en finissent plus d'expliquer qu'installer des caméras sans personnel suffisant et suffisamment formé pour regarder les images ne sert à rien. Les images sont perdues et pire, la police se repose et la délinquance augmente de facto.
Point de vue atteintes aux libertés, les caméras sont tellement inefficaces qu'on est obligé de pondre des lois imposant au citoyen comment s'habiller pour que cette bête caméra puisse le filmer. Ridicules patchworks totalitaires qui, à moins de se payer des masques transparents, viendront bien vite se briser sur l'autre paranoïa, la grippe porcine.
Un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) est le seul vantant l'efficacité de la vidéoprotection. Méthodologie simpliste : on a regardé les statistiques de la délinquance dans les zones équipées de caméras et on en a déduit que… Sauf que ces statistiques sont elles-mêmes très largement décriées et fausses.
Autre problème, le rapport avait initialement été confié à Philippe Melchior, président du comité de pilotage pour le développement de la vidéoprotection. Cherchez l'erreur : du coup, on a demandé à l'IGA de se charger de l'affaire, histoire de faire crédible.
Aider le lobby de la vidéosurveillance à convaincre
Et l'examen du travail de ce comité de pilotage au sein du ministère de l'intérieur est très instructif sur les véritables objectifs du plan de triplement des caméras.
Ils ont édité un petit guide. En préambule, une petite histoire destinée à illustrer « à qui est destiné ce guide et comment on doit le lire ». Du terrorisme ? Un horrible enlèvement d'enfant ? Pas du tout : un propriétaire de jardinerie qui s'est fait fracturer la porte de son hangar et qui veut se protéger.
Non seulement le guide mais l'ensemble des FAQ et des documents du site, en fait tout le travail de ce comité, consiste à encourager, conseiller, orienter et faciliter les démarches des particuliers ou entreprises souhaitant s'équiper.
Confirmé par Brice Hortefeux lorsqu'il parle « d'étendre ces dispositifs de vidéoprotection [aux sites industriels et commerciaux], aux commerces de proximité ou encore aux logements sociaux. »
Le but de la manœuvre : aider le lobby de la vidéosurveillance à convaincre le petit paysan, le chef d'entreprise, le gérant de village vacances, le maire de commune. M. Melchior d'ailleurs, prend sur son précieux temps pour intervenir aux Assises nationales de la vidéosurveillance urbaine, grand événement qui met en contact les professionnels vendeurs et les clients potentiels.
Et il va en déglutir, le client pigeonné, de la caméra inutile, inexploitable et souvent illégale. Car le délai de conservation des images est d'un mois maximum. Car un centre de supervision, ça coûte des fortunes en installation et en norme de sécurité et une autre fortune en personnel à former (au minimum deux par centre). Car les demandes d'accréditation au préfet ou à la Cnil sont d'une infinie complexité et que l'assistance d'un cabinet de conseil coûte en moyenne 800 euros la journée (hors frais).
L'objectif véritable : la vente, pas la protection
Le vrai plan, c'est de vendre plein de caméras qui enregistrent des images que personne n'a ni le temps ni les moyens de visionner. Plan, caméras, enregistrer, images, personnes, temps, moyens, visionner ? Perdu, le mot clé dans cette phrase, c'était vendre…
Mais vendre quoi au juste ? Ces braves gens, soucieux de la sécurité de leurs clients et de leurs électeurs, on ne va pas leur vendre de la vieille VHS. Le numérique, c'est vraiment plus économique, en temps, en fonctionnement, en stockage. Une note technique très intéressante pondue par ce fameux comité nous explique d'ailleurs comment ça marche, le numérique.
Enfantin : il suffit d'entrer dans la barre d'adresse d'un navigateur Internet l'adresse IP de la caméra pour y avoir accès, tout simplement. N'importe qui peut le faire, et dans la plupart des cas, aucun mot de passe n'est requis : absurde à la logique humaine, de protéger la protection…
Preuve ? Vous tapez dans google inurl : « view/index.shtml » ou encore inurl : « MultiCameraFrame ? Mode= ».
Magie : les adresses IP de milliers de cameras de surveillance partout dans le globe. Des parkings, des campus, des autoroutes, des tarmacs d'aéroports… si n'importe qui peut faire ça en deux clics, imaginons ce que peut faire quelqu'un d'un peu plus patient et déterminé. Il pourra enrichir la novlangue à loisir : vidéoplanification d'attentat terroriste, vidéorepérage des lieux d'un casse, vidéovol de secrets industriels et, quand on aura bien équipé les établissements scolaires, vidéopédophile de cour de récréation…
Mots promis à un grand avenir à mesure que les gouvernements financeront la grande arnaque de la vidéoprotection.
Photo : « Stop Control » (Photokraft/Flickr).