Un homme est mort » est le titre d’un film disparu que René Vautier a réalisé en 1950 pour témoigner de la grande grève des travailleurs du bâtiment à Brest qui s'est soldée par la mort d’Edouard Mazé, un ouvrier tué par la police. Cet homme modeste qui nous a quitté le 4 janvier 2015 n’était pas un ouvrier en grève mais un artisan de l'image,révolté dès son plus jeune âge par les injustices de ce monde.
Résistant alors qu’il a à peine 15 ans, il sera cité en 1944 à l’Ordre de la Nation pour faits de Résistance par de Gaulle. Plus de soixante ans plus tard, au cours d’un procès en diffamation contre les nostalgiques de l’OAS qui l’accusaient de falsifier l’histoire et d’être un suppôt du FLN algérien, il dira au Président du Tribunal de Quimper : « Ceux qui m’accusent aujourd’hui sont les héritiers de ceux que nous avons combattu les armes à la mains lors de la seconde guerre mondiale. Ici même à Quimper, tout près de ce tribunal, une rue porte le nom de mon groupe. Nous avons combattu les nazis pour la liberté de notre pays. »
Militant communiste dès 1950, son premier film Afrique, année 50, interdit et supposé disparu durant plus de quarante ans, sera le début d’une très longue série de documentaires témoignant principalement des conditions de vie des peuples et de leurs combats. Ce film, nous dit sa biographie officielle, sera le premier film anticolonialiste français, qui lui vaudra treize inculpations et une condamnation de prison. Co-inculpé avec Félix Houphouët-Boigny, il s’agit d’une condamnation en violation du décret Pierre Laval (Ministre des Colonies) de 1934. Vautier est mis en prison militaire à Saint-Maixent-l’École, puis à Niederlahnstein (zone française d’occupation en Allemagne). Il en sort en juin 1952.
Puis arrive la guerre de Libération qui retrouvera René aux côtés des indépendantistes algériens jusqu'à tourner durant l’année 1957 dans les maquis de l’ALN. L’Algérie et les Algériens seront sans aucun doute parmi les grandes passions du cinéaste malgré l’épisode de son emprisonnement durant vingt mois (1958-1960) par des responsables FLN soupçonneux de tout et de tous. Recherché par toutes les polices françaises pour son soutien aux « terroristes algériens », l’ancien jeune résistant à l’âge de 16 ans travaillera à Tunis où se trouve le GPRA (Gouvernement provisoire de la République Algérienne). Il y rencontrera Frantz Fanon et Kateb Yacine. Son film L’Algérie en flamme tourné dans les maquis servira dans le monde entier à populariser le combat du peuple algérien.
En 1962 à l’Indépendance, René est en Algérie ou il crée le Centre Audiovisuel d’Alger – structure destinée à former les futurs cinéastes et techniciens de l’Algérie nouvelle. Il déclarera plus tard : « La nécessité était évidente, créer de A à Z une structure de cinéma populaire, avec un réseau de distribution, un réseau de production et former des gens. J’avais accepté cette expérience de cinémas populaires en Algérie dans le but avoué de former des techniciens et une structure de diffusion populaire. Sous la devise : “Vers le socialisme par le cinéma, en dehors de toute censure”. L’utopie en marche. »
L’amnistie de 1966 le verra revenir en France après quatre années d’activités au Centre Audiovisuel d’Alger. En mai 1968, il participe à l'aventure du Groupe Medvedkine (collectifs cinéastes-ouvriers), puis en 1972, l’Algérie le rattrape de nouveau autour de l’histoire occultée du massacre des Algériens à Paris, le 17 octobre 1961. En tant que distributeur du film Octobre à Paris de Jacques Panijel, il sollicite un visa d'exploitation pour le documentaire. Le visa est refusé. Le 1er janvier 1973, il commence une grève de la faim, exigeant « la suppression de la possibilité, pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des critères politiques ». Il sera soutenu par Jacques Rivette, Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Claude Sautet, Alain Resnais, Robert Enrico...
Le Ministre de la Culture Jacques Duhamel cède et Vautier met fin à sa grève de la faim après trente et un jours. Même durant la décennie macabre des années quatre-vingt-dix, René Vautier aimait se rendre en Algérie où, sans protection rapprochée, il visitait ses amis où bon lui semblait. Tous les jeunes cinéastes algériens indépendants qui l’on rencontré considéraient René comme leur modèle, celui d’un homme qui témoigne, dénonce et ne renonce jamais aux rêves d’un monde meilleur.
Jusqu’aux dernières années de sa vie, René Vautier continuera à réaliser les films qu’il avait au cœur et à mettre en partage son expérience auprès de nombreux jeunes créateurs qui suivaient ses pas. Le 4 janvier 2015, René Vautier nous a quitté. Ses centaines de films (dont le célèbre Avoir 20 ans dans les Aurès) resteront nos étoiles dans la nuit, nos boussoles dans la tempête. Un seul mot concentre toutes nos pensées pour évoquer et saluer, l’ami, le cinéaste engagé, son œuvre, ses combats : respect.
Source médiapart: