En ce mois d'avril, l'eau du Gardon transporte de nombreuses alluvions et aucuns canoës ne transpercent les hectares de garrigue. Le ciel s'installe au bleu azur entre deux orages, et, soudain se dresse le Pont du Gard, merveilleux témoignage que nous a laissé la romanité. Plus qu'un simple monument, il s'agit bien d'un aqueduc antique reliant la source d'Uzès à Nîmes pour les besoins en eau potable de l'époque. Un ouvrage magnifique qui a joué un rôle conducteur durant cinq siècles pour les 20 000 habitants de Nemausus au premier siècle. Composé de matériaux méticuleusement sélectionnés aux abords de la réalisation, il s'impose, tel un roc, tel un jeuneot aussi ambitieux qu'invulnérable à qui rien ne fait vraiment peur. Pas même les cruelles inondations des 8 et 9 septembre 2002 qui avaient tout emporté sur leur passage. Plus d’un million de visiteurs par an De ses 48 mètres de haut, il a résisté à une pression hydraulique phénoménale qui n'avait par contre pas épargné la rive droite dévastée et dont douze hectares ont du, depuis, être réaménagés. A l'heure où la technologie avance, où le superficiel prédomine, où le paraître et le bling-bling enveniment la population du XXIe siècle, les Romains apportent, deux mille ans plus tard, l'illustration que les automatisations et les mécanisations successives, vrais cancers de notre société contemporaine, ne remplaceront jamais l'homme. Une histoire qui fascine. Un travail de fourmi que se plaisent à découvrir chaque année 1 250 000 curieux avec des pics en juillet-août pouvant atteindre 12 000 personnes/jour. Ce qui en fait le monument antique le plus visité de France. Et c'est tout logiquement, ne serait-ce que par juste respect pour ses concepteurs, que l'Unesco inscrivait ce chef d'oeuvre au patrimoine mondial de l'humanité en 1985. S'érigeant dans un site naturel remarquable, paysage méditerranéen caractéristique, il est également classé au titre de la loi de 1930 sur l'environnement afin de préserver une faune et une flore fragiles, comme en témoigne ce couple d'aigles de Bonelli survolant parfois les gorges du Gardon. Ce rapace, qui a fait des milieux méditerranéens son nid, est l'espèce la plus menacée de France puisqu'ont été recensés uniquement 28 couples des Pyrénées orientales au Var. Un poumon vert indescriptible En descendant les allées qui mènent de l'accueil du site au monument, on touche presque le paradis. Un plaisir qu'on devine partagé par tous nos voisins de visite qui redeviennent presque humains, tutoyant l'environnement et le respectant au point de prendre le plus grand soin de ne pas jeter de papier parterre. On s'éprend d'écologie, de préservation d'un milieu idyllique aux senteurs épicées de la garrigue. S'ouvrent devant vous 165 hectares de site libre d'accès. Un poumon vert indescriptible que la minéralisation entreprise en 2000 n'a pas mise à mal, contrairement à la préfecture romaine gardoise. Pourtant, à l'aurore du XXIe siècle, quand le site du Pont du Gard opérait sa mue et dévoilait un aménagement nouveau, les Gardois qui entretiennent une relation affective avec leur patrimoine, craignaient une offense au cadre naturel. Mais comment pouvait-il en être autrement sans cette protection et cette harmonisation d'un lieu qui se voyait menacé et dont les générations futures n'auraient pu ressentir ce plaisir qui est le nôtre ? Car le Pont reste victime de son succès. Et les va-et-vient incessants de la fréquentation touristique le réduisaient à un sombre avenir. Chaque jour, selon des études, c'est comme si un troupeau de 38 éléphants s'emparait de l'espace enchanteur. Avant l'aménagement, 3 600 véhicules par jour mettaient en péril ce travail d'orfèvre et son habillage. Avec le recul et la qualité des prestations offertes depuis (musée, ludothèque, cinéma, cafétéria...), les détracteurs ont avalé leur sifflet. Car aujourd'hui, une réelle prise en compte de tous les niveaux d'intérêts, étape par étape, est dévoilée au public. Entre modernité et romanité, jamais les deux architectures ne se confrontent grâce au travail de Jean-Paul Viguier à qui l'on doit notamment depuis la médiathèque qui cohabite avec la cathédrale de Reims. Un désert architectural de dix-huit siècles Tout aussi fascinant qu'incompris, l'acqueduc romain dévoile désormais tous ses atouts, son histoire, presque heure par heure, dans un musée qui mérite un détour en terres gardoises. Du reste plus de 20% des touristes, choisissant le Gard comme destination de vacances, opèrent avant tout leur choix dans l'unique esprit de visiter ce monument qui n'illustrera jamais assez combien nos ancêtres les Romains paraissaient avant-gardistes et précurseurs en de nombreux domaines. Après leur passage est né un désert architectural de dix-huit siècles avant que la société ne connaisse l'évolution, pas toujours porteuse, qui nous unit aujourd'hui comme... par un Pont. |