C'est l'histoire d'un télescopage tragique entre un itinéraire personnel et une fonction publique. Le premier n'appartient qu'à celui qui l'accomplit, et à lui seul. La seconde est forcément collective. Si les deux veulent cohabiter, il faut des conditions préalables. Et lorsqu'elles ne peuvent être remplies, alors il faut savoir en tirer les conséquences.
Un éditori@l n'a pas vocation à porter un jugement sur les détours d'une vie. Celui-là ne le fera donc pas. Il est toujours gênant de voir un homme contraint de justifier ses comportements devant une camera inquisitoriale. Et franchement insupportable de l'écouter raconter sa honte, dos au mur, comme le ferait un prévenu.
Les dix minutes d'interview de Frédéric Mitterrand, hier soir, dans le journal de TF1 ont donc été particulièrement pénibles. Le ministre de la Culture a raconté les enfers troubles de sa propre existence avec un courage qui mérite un certain respect. Après tout, jamais, avant lui, un membre du gouvernement n'avait livré autant de sa propre intimité sur un plateau de télévision !
Hélas, il était hors-sujet. Nul ne fera l'amalgame odieux entre homosexualité et pédophilie, comme il l'a craint. On se doute qu'il n'est pas un promoteur avéré d'un tourisme sexuel auquel il dit avoir cédé comme un alcoolique cède à la tentation de l'alcool. Dont acte. Qu'il se rassure, on le croira sur parole. Le problème est ailleurs. A la limite, il est plus simple. Et se résume en une formule : un ministre n'est pas tout à fait un homme comme les autres. Sa charge lui impose d'être, autant que possible, exemplaire. C'est dur, c'est sévère, c'est exigeant, et cela peut sembler injuste, même, mais personne n'est obligé de devenir ministre !
Le Frédéric Mitterrand écrivain n'avait aucun compte à rendre sur sa nuit thaïlandaise - à chacun ses fantasmes - et personne ne lui en a demandé. Le Frédéric Mitterrand ministre ne peut pas se soustraire, lui, à la critique sur ses actes car le personnage public, y compris dans sa dimension privée, n'engage pas que lui-même. La polémique est donc légitime.
Payer pour avoir des relations sexuelles avec une personne, fût-elle majeure, ce n'est pas anodin. Deux minutes à Patpong, la rue chaude de Bangkok, suffisent pour comprendre que les prostitués, garçon ou fille, étiquetés avec des numéros, n'ont pas choisi leur destin et qu'ils ne sont pas libres. Prétendre le contraire serait mentir.
On ne fera pas la morale à Frédéric Mitterrand - chaque vie est un combat difficile - mais certaines expériences présentes ou passées ne sont pas conciliables avec l'appartenance à une équipe gouvernementale défendant des thèmes moralisateurs. Ni avec une majorité qui a puni le racolage passif, et imposé aux prostitué(e)s une relégation de fait. On a voulu faire un coup en nomment Frédéric Mitterrand rue de Valois. Du coup, on l'expose à des coups.