Allo, Nico ? C’est Lili !
- Lili, comment tu vas ? Mais t’es folle, on va se faire repérer ! Tu m’appelles d’une cabine, j’espère ?
- D’une quoi ?
- D’une cabine téléphonique. Tu sais, le truc que les pauvres utilisent… Euh…bon, laisse tomber….Qu’est-ce que tu me veux ? C’est pour l’enveloppe de juillet ?
- Ben non, tu l’as déjà eue, celle -là… Eric ne l’a pas gardée pour lui, j’espère ?
- Ah oui, c’est vrai. Bon, alors pourquoi tu m’appelles ?
- Je voulais te féliciter Nico ! Lundi soir tu as été grandiose !
- Oui, je sais, j’ai été bon. C’est ce que Xavier m’a dit. Enfin, ça veut rien dire, il me dit toujours que je suis bon. Mais David me l’a dit aussi.
- David ?
- Le speaker de ma télévision ! Ah il a été bon, lui aussi. Il a tout fait comme on avait dit avant : il a oublié la moitié des questions gênantes, et il s’est contenté de ma réponse, même quand il savait que c’était du pipeau. Je parlerai de lui à ses chefs (de toute façon, c’est moi qui les nomme, alors…), et s’il continue comme ça, un jour il aura la Légion d’Honneur, c’est sûr.
- Bon, alors c’est fini, nos ennuis ?
- Tant que Philippe tient bien la baraque, pas de souci… Patrice te l’a bien dit, d’ailleurs. Mais il faut continuer à jouer serré, si jamais un juge d’instruction est nommé… Tu comprends mieux pourquoi je veux les supprimer ? Il faut continuer à faire semblant de ne pas se connaître… De toute façon, Patrick continue à me tenir au jus… Tiens, maintenant il bosse pour Bernard, un mec encore plus riche que toi !
- Quand même, Nico, t’es gonflé… Le coup de “Je suis venu à un dîner, vous ne croyez tout de même pas qu’on m’aurait remis une enveloppe devant tous les autres convives”, c’était fort ! Ça lui en a bouché un coin, au David.
- Oui, mais en même temps il ne pouvait pas savoir que tous les autres convives avaient aussi eu leur enveloppe !
- Ah ah, tu es toujours aussi drôle, Nico ! Mais dis-moi, il n’est vraiment jamais intervenu sur mon dossier, Eric ? ça me déçoit, après tout ce que j’ai fait pour lui…
- Mais non, Lili ! Tu ne vas tout de même pas croire tout ce qu’on lit dans les journaux ? Surtout quand c’est le Figaro ! Mais ceux qui ont enquêté, ils sont sous les ordres de François, le successeur d’Eric… Il est des nôtres, t’inquiète ! Grand bourgeois, fils à papa, chasseur, pas de souci. Et puis tu crois qu’Eric aurait laissé des consignes écrites ? Il n’y a pas de général Rondot dans toutes les affaires, heureusement !
- Ah, ça me rassure. Mais dis-moi, qui c’est les contribuables dont tu as parlé, ceux qui payaient 100% de leurs revenus en impôts et qui sont partis ?
- Ha ha, tu vas pas me dire que tu y as cru, quand même !
-Sacré farceur, va… Tiens, au fait, j’ai une autre question qui me turlupine : c’est vrai qu’ils ont un bouclier fiscal en Allemagne ? Je demande ça, parce que si ça tournait mal, ici, tu pourrais peut-être me faire exfiltrer là-bas ?
- Mais non, Lili, sois pas aussi naïve qu’un téléspectateur ! Y’a pas de bouclier fiscal en Allemagne, mais ça fait plusieurs fois que je l’affirme et non seulement personne ne me contredit jamais, mais en plus ça leur cloue le bec à tous les coups, alors je continue… Déjà qu’ils croient qu’il y a un vrai ISF en France, ha ha !
- Pourquoi, c’est pas un vrai ISF ?
- Ben non, je ne sais pas si tu sais, mais tu demanderas à Patrice (et tu lui passeras le bonjour, aussi), il te dira que tu ne paies l’ISF que sur 2 milliards d’euros, alors que tu en possèdes 17 milliards. Et en plus, sur les 40 millions d’euros que tu payes, mes autres électeurs t’en rendent 30 millions, alors tu ne vas pas te plaindre, je remplis bien ma mission, non ?
- Mais oui, Nico, je sais, mais tu es bien dédommagé, non ?
- Oui, mais tu as besoin de moi aussi ! Si je tombe, tu tombes aussi ! Imagine que ça tourne mal, que je sois battu, et qu’on ait un mec de gauche à ma place ?
- Dominique ? Mais on le connaît bien, ce sont nos voisins, sa femme est charmante et connaît tout le monde à la télé, y’a pas de problème !
- Oui, mais c’est pas de lui que je parle.
- Marine ?
- Pfff, qu’est-ce que tu peux être cruche ! Elle est comme nous, elle aussi. On fait peur avec ça, mais au fond on s’en fout… Mais imagine un peu que ce soit Olivier, Jean-Luc ou Eva ?
- Jésus Marie Joseph !
- Et c’est rien de le dire ! Tu crois peut-être qu’ils nous mettraient un des nôtres, un grand bourgeois discipliné comme Eric au budget ? Faut pas être naïve, ma vieille !
- Bah, avec quelques enveloppes… Et puis je pourrais peut-être embaucher leur conjoint à mon service ?
- T’as qu’à croire… Ces gens-là ne sont pas comme nous…
- Tu me fais peur, Nico…
- Rassure-toi, ma Lili. C’est pas demain la veille ! Tu sais, la Démocratie, ce n’est qu’un mot… Regarde ce qu’on en a fait en 2005… Et puis c’est tous mes potes, dans la presse. Sauf cet infâme moustachu… Je finirai bien par avoir sa peau… J’ai des dossiers, sur lui. On ne le lâchera pas. Mais un mec comme Etienne, c’est de l’or en barre, il t’influence tous les autres. C’est grâce à lui qu’on peut se maintenir, Lili. Etienne, c’est une assurance contre la révolution !
- Il faudrait quand même penser à lui donner la Légion d’Honneur, Nico !
- Qu’est-ce que tu crois ? Il est déjà commandeur, même ! Je ne suis pas le premier auquel il a rendu des services, ça fait tout de même quelques décennies qu’il rabat les électeurs vers nous ! Et puis je sais pas si t’as vu, mais cette fois j’ai décoré Bouygues, Pérol, Mireille Mathieu, Dutreil et Douste Blazy ! Je fais ce que je veux, je te dis !
- Dutreil et Douste Blazy ? T’y vas fort, là, quand même. Et Pérol ? Ils vont pas se révolter les plumés de Natixis ?
- Mais non, ils sont trop cons, je te dis. Y’a que le foot qui peut les révolter. Euh, attends, 2 secondes, on m’appelle sur une autre ligne. Allo ? Claude ? Quoi ? Ah merde, putain, merde, fait chier ! Allo Lili ! Putain, il craint Patrice, il a encore laissé des traces ! C’est Denis, cette fois qui publie ce torchon… Un papelard qui prouve que tu nous as financés en 2006… Denis, quel traître celui-là, après tout ce que j’ai fait pour lui, Hadopi, tout ça… 2 secondes… Quoi ? Eric ? Un champ de course bradé ? Bah, on va pas en faire une affaire… Yaka rappeler à quel prix Villepin a vendu les sociétés d’autoroutes, ha ha ha… Allo, Xavier ? Tu fonces sur toutes les radios dire que tout ça c’est des ragots, que “NS” ça veut dire “Notre Seigneur”, que c’est encore un site internet fasciste, qu’Eric est honnête, qu’il joue pas aux courses, qu’ils font le jeu du Front National, que le chômage va baisser, et qu’on lâchera rien sur les retraites. Et passe le message à Dominique, Nadine, Christian, Fred et les autres… Exécution ! Allo Etienne ? Il faudrait que tu écrives que la source n’est pas fiable, que la photocopieuse s’est rétractée, je sais pas, moi, invente… ! Comment, tu l’as déjà fait ? T’es chou, bises à ta famille… Allo, Lili, bon, je te laisse, on est encore dans la merde, là… Déjà que j’ai passé tout le week-end avec une armée de communicants pour mettre au point les bobards de lundi, on va être encore obligé de recommencer ce week-end… Putain, vivement les vacances, moi je dis…
[Note : ce script est en fait tiré du scénario qu’un téléfilm albanais de série Z. Inutile de chercher des ressemblances avec des événements de chez nous, ça ne peut être que totalement fortuit ! C’est tellement rocambolesque que personne n’y croirait ! Et puis on est en Démocratie, en République, non ? Hein ?]