En attendant de connaitre le nouveau gouvernement, faisons un peu de rhétorique et de linguistique. Dans la déferlante de commentaires qui a suivi les résultats de dimanche soir, de nombreux qualificatifs, très variés, ont été utilisés pour désigner l'événement. Le langage n'est jamais innocent : il nous dit quelque chose d'important. Et puis, la politique c'est l'art de la parole, du mot juste. J'ai donc voulu m'y arrêter et y réfléchir, d'autant que le lexique employé a été riche.
Sur France 2, à l'annonce des mauvais résultats pour les socialistes, Ségolène Royal a parlé d'un avertissement. C'est sans doute le terme le plus soft : un avertissement, ce n'est pas très méchant, ça ne porte pas vraiment à conséquence. Ce n'est même pas un blâme. L'électorat nous dit seulement de faire attention. J'aimerais que Ségolène ait raison. Mais je crois, comme beaucoup d'autres, que le vote de ces élections municipales est, hélas, plus fort. Sur le plateau, des leaders du PS n'ont pas hésité à employer le mot de sanction, plus proche de la réalité. Rejet a aussi été utilisé, encore plus fort : trop fort à mes yeux, et pas très juste. Les citoyens ne votent pas uniquement contre, mais aussi pour. Refus à la limite, mais indissociable d'une adhésion. Déculotté a même prononcé le rréservé Ciotti
Car sanction de qui ou de quoi ? Pas facile de décrypter le message. C'est pourquoi, pour ma part, je préfère le mot plus neutre, plus objectif de défaite. De fait, les socialistes ont échoué. Arnaud Montebourg, hier matin sur France-Inter, a voulu être plus précis, en parlant de défaite historique. Oui, je comprends : des villes à gauche depuis toujours sont cette fois passées à droite, et cette défaite est d'une ampleur jamais atteinte jusqu'à maintenant. Mais je trouve qu'on met à notre époque le terme d'historique à toutes les sauces. Finalement, tout est plus ou moins historique, nouveau, singulier. Je crois que cette dramaturgie est inutile. Défaite, ça suffit, c'est déjà beaucoup.
Des commentateurs se sont laissés inspirer par des métaphores : le PS aurait reçu une gifle ou une claque. Je n'aime pas trop ces images. Que savons-nous des intentions de l'électorat ? Une gifle à la gauche ? Et pourquoi pas une caresse à l'extrême droite ? Non, laissons tomber ces termes trop partisans, trop subjectifs, trop orientés. Celui qui parle de gifle, c'est en réalité celui qui a envie de gifler le parti socialiste, rien d'autre. Libération a titré à sa une : La punition, comme si le rapport du peuple à ses représentants dans une élection était analogue à celui du professeur à ses élèves dans une classe ! Non, c'est un vocabulaire déplacé, au sens propre du terme. Un blogueur antibois est allé jusqu'à parler de fessée : là, on tombe carrément dans l'infantilisation de la vie politique . (
La référence historique, plus subtile, n'a pas été absente : c'est la fameuse Bérézina, que je n'apprécie pas trop non plus lais que j'ai employé et qui ne peut rendre compte de la réalité présente. Est-ce que la gauche a battu en retraite devant la droite, comme les soldats de Napoléon devant les armées du tsar ? Peut-être, mais on ne peut pas dire que les troupes socialistes ont été engloutis dans les eaux glacées du fleuve électoral. Bérézina, ça ne me convient pas.
Il y a le vocabulaire qui désigne ceux qui ont perdu et le vocabulaire qui désigne ceux qui ont gagné. Le premier, avez-vous remarqué, est plus prolixe que le second : comme si c'était moins la droite qui avait gagné que la gauche qui avait perdu. Très révélateur. Pourtant, deux termes maritimes ont été fréquemment introduits : la vague bleue, jolie image de plage, de vacances et de surf. En revanche, plus inquiétante est celle de tsunami de droite : c'est sans doute puissant, mais surtout dévastateur, catastrophique, tragique pour tout le monde. Si j'étais de droite, je me méfierais de ce mot , l'utilisation fréquente est d'ailleurs assez récente .
Chacun fera son choix, le dictionnaire est un outil merveilleux. Simplement, il ne faut pas que ceux qui ont échoué soient désespérés et que les gagnants soient triomphants. Il y a aussi le défaut inverse, tout autant désolant : j'ai rencontré un Saint-Quentinois de gauche qui a osé me dire que Xavier Bertrand n'avait pas tant gagné que ça et que Michel Garand n'avait pas complètement perdu. J'en suis tombé sur le cul, je n'ai même pas eu le courage de lui répondre. Il ose me le dire, mais en son for intérieur, peut-être qu'il n'ose pas vraiment le penser : c'est une forme d'auto-consolation, me suis-je dit. Les mots sont aussi des pansements.