Après la tragédie et avant la grande manifestation de ce week-end, une lamentable polémique tourne autour de la présence ou de l'absence du Front national dans la marche républicaine
Une fois de plus, l'extrême droite aura réussi à se placer au coeur d'une querelle médiatique. Ce parti qui s'en prend aux victimes se met à jouer les victimes ; ce parti qui prône l'exclusion laisse croire qu'il est exclu. Il faut dénoncer cette nouvelle imposture.
Dans l'idéal, j'aurais préféré que la manifestation soit à l'appel exclusif des associations des droits de l'homme et antiracistes , comme c'était initialement prévu. Je comprends aussi, pour des raisons logistiques, que les partis politiques et les syndicats, qui ont les moyens et le savoir faire, soient impliqués au premier chef. Mais que dans ces organisations figure le FN, non, mille fois non ! Pas question de défiler au côté de ce parti, ou alors je reste chez moi.
Jamais Charb, Wolinski, Maris ou Cabu n'auraient accepté d'être défendu par l'extrême droite, qu'ils n'ont jamais cessé de combattre. Pas d'hypocrisie ! La présence de l'extrême droite, ce serait une seconde mort pour les victimes. Respectons leur mémoire , ce sera l'union nationale, oui, mais pas à n'importe quel prix, pas dans la contradiction, l'incohérence, la négation de soi. L'union nationale, c'est celle des partis républicains, de gauche et de droite. Le FN n'est ni de gauche ni de droite, il n'est pas républicain, ni par ses idées, ni par son histoire : c'est une organisation extrémiste, radicale, nationaliste, xénophobe et autoritaire, elle n'a pas sa place dans le défilé.
Que le FN soit légalement reconnu, qu'il participe aux élections et soit reçu par le chef de l'Etat ne change strictement rien. La République est bonne fille, elle a toujours accueilli en son sein ceux qui lui crachent à la figure, car ils représentent une partie du peuple et la liberté d'expression est son principe. Mais ce n'est pas une raison pour les inviter à défiler ensemble. D'ailleurs, le FN passe son temps à dénoncer le prétendu système "UMPS", l' "établissement", comme il l'appelle : qu'il ne vienne pas maintenant pleurnicher pour en faire partie, bras dessus bras dessous avec lui.
Certains affirment que c'est un cadeau qu'on leur fait en réagissant ainsi. Ah bon ? Drôle de cadeau, celui dont le bénéficiaire ne veut absolument pas ! Et permettre au FN de défiler tout drapeau déployé, légitimé par cette reconnaissance, se refaisant une beauté démocratique et une santé électorale au milieu de la foule républicaine, ce ne serait pas un magnifique cadeau ? Soyons sérieux et ne jouons pas avec les paradoxes. L'argument me fait penser à ces idiots qui reprochent à ceux qui critiquent le Front national de faire sa publicité, qui sous-entendent que plus on s'oppose à l'extrême droite, plus on renforce l'extrême droite ! Le raisonnement est très malin, mais très vicieux.
Frontistes et islamistes sont les deux têtes d'un même dragon. Elles se nourrissent l'une de l'autre, comme les extrêmes se rejoignent tout en se combattant. Dans les deux cas, on prône le repli identitaire, on tient des discours violents, on ethnicise le débat public, on se réfère à des régimes autoritaires. A la différence de l'équipe de Charlie hebdo, jamais Marine Le Pen n'aura à craindre un attentat islamiste, parce qu'elle est la figure inversée des djihadistes, qui n'y toucheront pas.
Il y a quelque chose dont personne ne parle en ce moment, mais à quoi tout le monde pense : le Front national sera hélas le principal bénéficiaire de la tragédie que nous vivons. La xénophobie anti-arabe et anti-musulmane va monter d'un cran. Déjà, des actes racistes sont perpétrés, que l'émotion générale fait oublier. Les élections départementales vont être une catastrophe républicaine : il est à craindre que plusieurs centaines de cantons passent au FN, que ce soit le début cette fois d'une implantation locale sérieuse pour ce parti. Pour cette raison et pour toutes les autres raisons, il ne faut pas accepter le Front national dans la manifestation de dimanche, car ce serait faire le lit boueux de l'extrême droite.