Ces 15 et 16 avril 1860, il y a tout juste 150 ans, les Niçois votent pour ou contre l'union à la France... Le 16, ils sont plusieurs milliers devant le collège (l'actuel lycée Masséna) où les résultats sont proclamés. Des journées historiques que ces dimanche 15 et lundi 16 avril 1860.
Un siècle et demi plus tard, l'événement continue de faire des vagues dans la baie des Anges. Une minorité d'irréductibles conteste toujours les résultats d'un référendum qui a plébiscité le rattachement. C'est assez dire que la « blessure » reste sensible dans des cercles niçois, il est vrai, restreints.
Alors, peut-on aujourd'hui faire toute la lumière sur cette affaire ? Les Niçois sont-ils devenus Français à la faveur d'un trucage ? « S'il y a eu bourrage des urnes, aucune preuve n'a pu en être apportée », souligne l'historien Michel Botain (1).
« Et puis, il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Les femmes n'ont pas le droit de vote. Il n'y a pas d'isoloir (celui-ci n'apparaît en France qu'à la fin du XIXe siècle). Seuls des bulletins « oui » sont disponibles ».
Spectaculaire retournement de l'opinion
En dépit de ces réserves, pour l'historien, les Niçois ont bien voulu devenir Français et ont exprimé cette volonté massivement. Leur vote exprime cet enthousiasme. Ils n'ont pas été forcés. Pourtant, quelques semaines plus tôt, ils étaient majoritairement hostiles. D'un côté, le « parti français » mené par l'artiste-peintre et banquier Auguste Carlone. Un tiers de sympathisants. De l'autre, le « parti italien » autour du maire, François Malausséna, avec des conseillers de la cour d'appel tels Louis Lubonis et Eugène de Cessole. Un tiers de la population y adhère. Le 3e tiers, ce sont les « italianissimes » autour de Joseph Garibaldi, farouchement opposés à l'annexion. Soit 2/3 de la population contre le changement de souveraineté.
Un mois plus tard, l'opinion est retournée ! Comment expliquer un revirement aussi soudain et spectaculaire ?
« Par une intense campagne de séduction auprès des notables niçois. On promet à François Malausséna qu'il restera maire et on nomme Louis Lubonis gouverneur provisoire de la province de Nice etc. »
Quant au clergé, avec Mgr Sola, évêque de Nice, il est pour la France. Turin est réputé anti-clérical tandis que Napoléon III est un défenseur de la papauté. Entre les deux, il n'y a pas à hésiter !
Le ralliement des élites locales est décisif. Le peuple n'aura qu'à suivre. Il reste à neutraliser les « italianissimes » qui tiennent la rue. Ils seront pris de court par la rapidité du processus électoral. Leur chef, Garibaldi, est absent. Il a été opportunément envoyé guerroyer ailleurs en Italie.
« Pour désarmer toute velléité d'opposition, il fallait que le vote soit massif. Le risque diplomatique est en effet considérable. Les Anglais, puissance dominante de l'époque, n'auraient pas accepté une union imposée par la force ».
Des wagons d'or...
Le vote est organisé par Pierre-Marie Pietri, envoyé extraordinaire de Napoléon. Il s'est installé à l'hôtel de France, sur le Paillon, où il reçoit les délégations de Niçois. Il promet de l'argent, des équipements (l'endiguement du Var, des routes pour les vallées du haut pays, le chemin de fer...). Bref, il pratique la diplomatie du chéquier.
« La France est alors un pays riche et puissant. Les anciens disaient que Napoléon III était" arrivé avec des wagons d'or », raconte Michel Botain.
Pas étonnant avec tout ça que les Niçois se soient rallié en masse.
pfiammetti@nicematin.fr
(1) Cet historien du droit anime un programme de recherche sur les anciens Etats de la Maison de Savoie.