En ces temps de mutation sociale accélérée, l'abondance pétrolifère nous avait gratifiés de la naissance d'une nouvelle race de dégénérés, à savoir le Beaufus Quartus-Quartus, dont la traduction en langage ordinaire est: "le beauf au 4x4". La débilité est un exemple idéal de la déficience des lois du marché, l'illustration parfaite que les théoriciens du tout-libéral ont tort, car la loi de l'offre et de la demande ne s'applique pas à elle. En effet, bien que la connerie soit un des biens les plus répandus et les plus largement distribués sur terre, elle continue de coûter extrêmement cher et les gens en redemandent. Le 4x4 est un cas d'école.
Le Beaufus Quartus-Quartus avait parfaitement trouvé sa niche écologique. La race semblait viable. En effet, l'espace d'une seule génération avait vu l'espèce déserter les campagnes, où elle avait alors une raison d'être toute naturelle dans l'âpreté des paysages, pour investir les villes, où elle s'était transformée en un prion malsain pour infester les cervelles du peuple. La 2CV fourgonnette est devenue Porsche Cayenne. Un temps confinée au parvenu ou à la profession libérale qui aurait eu honte de s'afficher en Audi A3 (celle-ci étant réservée aux commerciaux et aux dealers, ce qui revient à peu près au même), le 4x4 a fini par muter pour envahir tous les compartiments de l'échelle sociale. Ainsi, le praticien en médecine a-t-il trouvé, dans la faune automobile, son pendant femelle en la blondasse bourge, qui conduit son Cayenne ou son Parejo pour larguer ses enfants devant l'entrée de la maternelle - bloquant ainsi la totalité de la rue pendant un bon quart d'heure - et poursuivre, levier de vitesses dans une main et téléphone portable dans l'autre, sa route vers le centre commercial et l'accomplissement de son destin.
La blondasse fringuée chic est en effet le dernier avatar de l'évolution automobile rurbaine. Elle consacre la fin d'une époque: celle où les assureurs préféraient les conductrices aux conducteurs, car elles se comportaient plus prudemment et avaient moins d'accidents. La blondasse bourge en 4x4 est l'anti-portrait radical de cette race presque éteinte: encore plus agressive que son mâle, elle vous colle au train et vous klaxonne furieusement quand, devant elle au feu orange, vous avez l'inconscience de ralentir avant que celui-ci soit passé au rouge; alors que le bon sens commanderait bien évidemment de passer malgré tout pour aller écrabouiller tout ce qui aurait l'audace de s'aventurer sur les autres voies. De temps en temps, elle gesticule même et vous insulte à travers son pare-brise. La blondasse bourge en 4x4 a dans son sac en cuir l'argument standard qu' "en 4x4, on se sent davantage en sécurité", argument communément répété par le mari de ladite blondasse pour justifier l'achat du coûteux monstre à pneus Méphisto. C'est sans nul doute ce qui explique que, l'un comme l'autre, ils s'engagent dans les ronds-points sans vérifier si quelqu'un s'y trouve déjà: contre leurs deux tonnes et demie, votre pauvre voiture ne fait pas le poids et c'est à vous de piler lorsqu'ils vous grillent la priorité, confortant ainsi leur "sentiment de sécurité"; d'ailleurs, ils ont en général sur vous la supériorité d'être extrêmement pressés, car le temps de ceux qui gagnent plein de pognon est infiniment plus précieux que celui des loqueteux: axiome de base de notre époque moderne.
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Seule ombre au tableau, la politique pétrolière nous a fait doubler le prix du baril de pétrole en un an. Pour l'heure, l'or noir s'échangeant en dollars, la chute de celui-ci face à l'euro protège encore le beauf européen et sa femelle. L'Irlande ayant dit non au traité de Lisbonne, faut-il redouter une crise européenne, avec comme dommage collatéral la chute de l'euro et le renchérissement subséquent du prix à la pompe? Auquel cas, restriction de l'espace vital aidant, le Beaufus Quartus-Quartus se mettrait à dépérir? Ne craignez rien, mes frères: la race est intrinséquement résistante à la consanguinité, puisqu'elle en est le résultat direct. On croise bien les lévriers entre eux, ça ne les empêche pas de courir vite, même s'ils sont trop débiles pour s'apercevoir qu'ils sprintent après un lapin en plastique.
Et puis, même si le 4x4 devait disparaître (pour mon plus grand plaisir, notez bien), l'époque n'est point avare en signes extérieurs de beaufitude. Si ce n'est pas la voiture à gros pneus, ce sera le vélo avec plein de vitesses, la trotinette avec marchepied en diamants ou le skateboard aux roulements à bille en platine. L'important pour les prétentieux et les parvenus est de s'exhiber; au besoin par le mauvais goût, puisqu'ils ne peuvent le faire par l'esprit.
Commentaires
J'habite à côté d'un rond-point, c'est tout à fait ça !
Ah, que vous m'avez fait rire, c'est bien vu et tellement vrai ! Merci, il n'y a plus guère d'occasions de s'amuser en ce moment.