Le sénateur Edward Kennedy vient de mourir, l’ultime patriarche du clan. (Le Parisien, Le Figaro, Le Monde).
Bob Kennedy est assassiné en 1968 et John le président l’a été en 1963.
La mythologie Kennedy ! A quoi a-t-elle tenu, pourquoi a-t-elle duré, de quelle substance était-elle faite pour surmonter les épreuves, les tragédies, les ignominies, les mensonges, les innombrables liaisons, la présence obsédante de la mafia, le rôle d’entremetteur de Peter Lawford, le suicide de Marilyn Monroe et le nettoyage qui a suivi ? Cette mythologie injuste, absurde, ne s’est-elle attachée qu’à la beauté et à la jeunesse de ces visages fauchés en pleine gloire, a-t-elle fait son miel de Jacqueline Kennedy en dépit de sa relation de commerce avec Onassis, malgré son aventure récemment dévoilée avec Bob Kennedy ? Où se cache le secret de ce tournoiement obstiné autour du clan Kennedy, de ces lumières sans cesse braquées sur le père puis sur les fils, enfin sur tous ceux qui, parce qu’ils s’appelaient Kennedy, semblaient avoir reçu en héritage une part de gloire, comme si cela allait de soi, et un quartier de tragédie, comme si elle devait advenir ? Pourquoi cette fascination pour des destinées dont politiquement des esprits lucides sentaient l’esbroufe ? A cause d’une belle phrase à Berlin et de la crise de Cuba pour l’un, parce que l’autre prétendait lutter contre le crime organisé et ses dirigeants en facilitant pourtant leur mainmise sur la chose publique, parce que le troisième a voulu, avec Barack Obama, une « sécurité sociale » à l’américaine ?
Edward Kennedy a traîné toute son existence sa lâcheté et son irresponsabilité, de 1969 à Chappaquiddick, mais en même temps, parce qu’il était le survivant illustre, les médias l’ont porté aux nues, vantant l’homme de gauche et aussi l’indomptable en face de la maladie.
Quand on était Kennedy, grâce à ce nom claquant comme une bannière ou un voilier au vent, on avait course gagnée : fallait-il être mauvais pour être retiré du jeu quand, auréolé de cet inestimable avantage, on croyait la politique apprivoisée...
Certes, les malheurs, les assassinats et les mystères les ayant entourés n’ont pas été pour rien dans l’amplification de plus en plus vive du mythe Kennedy, à proportion du sombre qui l’obscurcissait. Mais il y avait forcément autre chose, pour résister ainsi au pire dévoilé chaque jour davantage, une aura, une magie, une grâce. Elles dépendent plus des Etats-Unis peut-être que des Kennedy. Les premiers ont sans doute eu un besoin effréné de cette dynastie d’or et de boue, de magouilles et de coups d’éclat, de moralité affichée et d’immoralité constante. Ce pays préfère un rêve, même dévoyé, à l’absence de rêve.
Quelle importance, alors, que l’eau se trouble quand les Kennedy voguent sur elle !