Territoires explosifs
C'est une réforme explosive par excellence.
Toucher à l'organisation des territoires dans un pays qui, comme le disait de Gaulle, ne compte pas moins de 350 fromages, c'est modifier une espèce de représentation éternelle du pays. C'est bousculer ses équilibres.
La réforme que le gouvernement présente à partir de mardi au Sénat est à l'image de la pratique sarkozyenne du pouvoir : provocatrice, calculatrice et contorsionniste.
La création d'un conseiller territorial « unique » qui siégera à la fois à la Région et au Département plaide, pour une simplification institutionnelle vertueuse. Ne favoriserait-elle pas la cohérence des politiques locales en évitant les doublons, et en stimulant des énergies complémentaires ? Ne donnerait-elle pas plus de force aux territoires face à l'État ? Cette argumentation pourrait être tout à fait convaincante si le débat n'était obscurci par de larges et inquiétantes éclipses.
Dominé par des personnalités issues de l'Ile-de-France, ce gouvernement a délibérément minimisé l'importance du maillage subtil de l'enchevêtrement des institutions locales. Diviser par deux le nombre d'élus locaux, c'est faire des économies d'argent et de temps, pense-t-on volontiers à Paris, en occultant tout ce que cette construction suppose de proximité et de convivialité. La simplification aura un coût difficilement mesurable qu'on ne saurait passer en pertes et profits sans y réfléchir à deux fois.
Parce qu'il a su arrondir les angles et ménager les susceptibilités, le Premier ministre est parvenu à calmer la colère des maires lors de leur dernier congrès, et ce « succès » le conduit aujourd'hui à afficher un optimisme foncier, comme si tous les obstacles qui se dressaient devant le texte étaient aplanis. Mais rien n'est vraiment réglé. Le président du Sénat, lui-même, ne cache pas son scepticisme sur une réforme qui additionne les doutes qu'elle soulève à ceux créés par la suppression de la taxe professionnelle. Au mieux, le projet, en l'état, bénéficierait d'une majorité de résignation mais certainement pas d'une majorité d'adhésion.
Le chef de l'État et son Premier ministre ont si bien senti ce flottement qu'ils soumettent aux sénateurs une réforme fragmentaire amputé de ses morceaux les plus polémiques : le mode d'élection du fameux conseiller territorial ne sera pas discuté tout de suite, ni même la future répartition des compétences entre les différentes collectivités.
C'est un mouton à une patte qui entre au palais du Luxembourg.