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FANTOME ET BURQUA

Le fantôme de la burqa.

Dilem

 



J'apprécie beaucoup Robert Badinter. C'est pour moi une grande figure de la gauche, une conscience morale, une référence politique. Sur la burqa, il vient de s'exprimer, en faveur d'une loi d'interdiction. Et là je ne ne suis pas d'accord avec lui. Il y a cependant un point, qui n'est pas rien, sur lequel il y a, entre tous les républicains de ce pays, consensus : il est évidemment inadmissible qu'une femme soit forcée de porter ce vêtement et il convient de punir sévèrement ceux qui l'emprisonnent sous ce tissu.

Mais le problème est ailleurs, et la divergence aussi : que fait-on avec les femmes, et il y en a, qui choisissent de le revêtir librement la burqa ? Badinter apporte une réponse que je soumets à la discussion, précisément parce que je la trouve très discutable :

" La fraternité, c'est d'abord dans le visage de l'autre que je la découvre. Si vous vous adressez à un fantôme, comment voulez-vous avoir avec lui un rapport de fraternité ou de sociabilité ?"

Je crois que tout le problème réside dans cette argument que je ne partage pas. D'abord la fraternité n'est pas pour moi, essentiellement, un visage, mais des paroles et des actes : paroles de paix, actes de solidarité par exemple. Un visage ne me dit rien, c'est le plus souvent une face anonyme comparable à bien d'autres faces anonymes. Ce n'est que dans le dialogue, les gestes, les actions que la relation humaine devient fraternelle.

D'autre part, une femme qui porte librement un burqa ou un niqab (peu importe le mot, la longueur, la forme ou la densité du tissu) n'est pas un fantôme, c'est une personne qui existe mais qui choisit de ne pas se montrer. En a-t-elle en République le droit ? Pour moi oui. En quoi cela peut-il fondamentalement gêner autrui ? Je ne le vois pas, je ne le comprends pas. Il n'y a que les actes d'hostilité qui dérangent, les attaques physiques ou verbales. Hormis cela, nul ne devrait se sentir inquiet ou inquiété à cause des vêtements d'autrui. Si j'ai envie de me déguiser en pompe à essence, en quoi suis-je un danger public, une menace pour la société, une atteinte à la démocratie, une négation des droits de l'homme ? Chacun doit s'habiller comme il l'entend, à la seule condition que ce soit librement.

Enfin, est-il vrai que la burqa perturbe la sociabilité ? De quelle sociabilité Badinter parle-t-il ? Je ne me sens aucunement obligé de lier des contacts, des relations sociales avec n'importe quel citoyen. La fraternité n'est pas l'amitié. Si une femme en burqa contrevient à mes convictions, je ne la fréquente pas, je ne lui parle pas, mais je ne lui impose pas non plus ma façon de voir en l'invitant à renoncer à son vêtement.

En vérité, derrière cette affaire de burqa, je sens monter l'intolérance, le rejet de la différence. Car aujourd'hui, dans une société tellement libérée qu'il n'y a plus guère de transgression possible, qu'est-ce qui reste étrange, mystérieux, énigmatique, provocateur et dérangeant ? Se balader sous une burqa. D'autant que la société contemporaine va exactement dans le sens inverse, en dénudant depuis une quarantaine d'années le corps de la femme (personne ne reproche d'ailleurs à cette orientation de contredire la fraternité et la sociabilité).

Une femme en burqa, c'est en effet un fantôme, une créature surnaturelle qu'on ne comprend pas parce que notre société s'est éloignée de la religion et qu'elle ignore à peu près tout de l'Islam. Mais cette différence, aussi troublante soit-elle, doit être respectée. Sinon, demain, ce seront d'autres différences auxquelles on s'attaquera. Même si ma préférence personnelle va à la contemplation d'un corps féminin nu, je peux comprendre que certaines femmes puissent vouloir intégralement le dissimuler au regard d'autrui, dans une sorte de pudeur fondamentale et quelque part ahurissante.

Réduire la femme portant burqa à un fantôme, la comparer à un déguisement de carnaval ou bien l'assimiler au port de la cagoule chez les malfrats, c'est rabaisser et en quelque sorte défigurer une différence qui nous révulse, qui semble porter atteinte à notre modernité, qui renvoie à des cauchemars de fanatisme. Cessons donc de croire aux fantômes, repoussons ces fantasmes qui viennent nous hanter, n'ayons pas peur d'une bizarrerie, d'une étrangeté, d'une façon d'être, d'un mode de vie, d'une conception de l'existence que nous avons le droit de critiquer mais pas d'interdire sur la voie publique.

Je répète, pour éviter tout malentendu sincère ou malveillant, que ma tolérance à l'égard de la burqa ne vaut que si et seulement celle-ci est librement portée. Car c'est dans cette hypothèse que Badinter se situe et que je conteste son point de vue.

Une dernière remarque, pour être tout à fait clair : quand je discute avec un type qui dissimule son regard derrière des lunettes noires dans lesquelles mon visage se reflète, je ne le supporte pas, j'ai l'impression de discuter avec moi-même. Le jour où je croiserai une burqa (ce qui n'arrivera peut-être jamais tellement la rencontre est rare), je serai probablement, comme tout le monde, mal à l'aise. Mais nos sentiments doivent-ils devenir force de loi ? Je pense que non. Tout le problème de la burqa est là.


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