A propos de la situation politique et sociale, j'entends dire ou je lis que nous irions vers "un nouveau Mai 68". C'est consternant, et j'ai un tas de raisons de le penser :
1- Depuis que je m'intéresse à la politique, c'est-à-dire depuis ..., j'ai toujours entendu dire ou lu, à la moindre mobilisation lycéenne ou étudiante un peu importante, que nous allions vers "un nouveau Mai 68". J'attends toujours ...
2- Mai 68 se caractérisait par son surgissement imprévisible, sa spontanéité. Annoncer, prévoir ou déclencher un "nouveau Mai 68", c'est une contradiction dans les termes.
3- Mai 68 débute par une révolte de jeunes, étudiants et ouvriers, se poursuit par une mobilisation de toute la jeunesse autour de problèmes de jeunes. Aujourd'hui, ce sont des "vieux" qui manifestent, avec des préoccupations de "vieux" (j'emploie ce mot dans le sens qu'on lui donnait en Mai 68 : tous ceux qui ont plus de 30 ans). Les étudiants restent pour le moment silencieux, les lycéens défilent pendant le temps scolaire mais ne sont guère présents dans les cortèges syndicaux.
4- En Mai 68, l'objectif était de changer le monde, la société, la vie. Nous étions à des années-lumière de ce qui se passe ces dernières semaines, où il s'agit de préserver le système existant, la retraite par répartition et le départ à 60 ans. En 1968, on dénonçait l'exploitation, l'aliénation, l'autorité, on ne cherchait nullement à revendiquer une retraite correcte.
5- En Mai 68, les organisations syndicales traditionnelles étaient totalement dépassées par ceux qu'on appelait alors les "gauchistes". Aujourd'hui, ce sont ces organisations qui canalisent le mouvement, les "radicaux" n'ont qu'une influence marginale.
6- Même la violence n'est pas la même : en Mai 68, on brûlait des voitures pour contester la société de consommation et la violence ne se retournait pas contre les manifestants. Aujourd'hui, les "casseurs" ne sont que des délinquants, pas des révolutionnaires ou des rebelles. En 68, le seul exemple équivalent, c'était les "Katangais" de la Sorbonne, une poignée de voyous qui s'étaient mis au service de la révolution, mais dont le rôle était très secondaire et peu spectaculaire, à la différence des pillages et agressions d'aujourd'hui.
7- La menace d'une pénurie de carburant est un contresens absolu quand on assimile Octobre 2010 et Mai 1968, puisque cette crainte, en juin du joli mois de Mai, signifiait la fin du mouvement : les Français ont pris peur de voir leur sacro-sainte automobile paralysée et les non moins sacro-saintes vacances menacées.
8- Même en rêve, il ne serait pas souhaitable d'espérer un "nouveau Mai 68", puisque cette révolte a débouché, en juin de la même année, sur des élections législatives qui ont investi une écrasante majorité de droite et poussé la gauche vers une extrême gauche sans espoir ni perspective. Quant aux accords de Grenelle, ils ont été perçus, à tort ou à raison, comme une capitulation devant le patronat.
Karl Marx a écrit quelque part que la répétition d'un événement ne pouvait se faire que sur le mode de la comédie. C'est ce qui arrive avec Mai 68, dont nous ne pourrions avoir aujourd'hui que la singerie