Je suis certain que vous serez sensible au récit de l'odyssée de l'équipe Amnesty International France au Caire et de la situation dramatique qu'elle révèle en matière de violation des droits des personnes par les membres avides de rester au pouvoir. N'hésitez pas à relayer ce texte , un peu longuet autours de vous... en tout cas pour eux!
Bien amicalement
Pour Info
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Mission au Caire
Par l’équipe d’Amnesty International en Égypte
Hier, après avoir enfin retrouvé nos collègues, nous avons repassé ensemble
quelques moments forts des dernières heures de notre séparation. Notre
course dans les rues sinistres du Caire dans la nuit de vendredi à samedi
pour les retrouver après leur libération avait des allures de film de série
B. Et sans doute quelque chose de comique aussi, mais nous étions à ce
moment là tellement inquiets pour leur sécurité et tellement désireux de
mettre un terme à cette incertitude que tout cela n’avait vraiment rien de
drôle.
Malgré l'énorme soulagement de les savoir remis en liberté après 32 heures
pénibles d'angoisse, sans sommeil, malgré la joie de les avoir brièvement
entendus au téléphone, nous ne pouvions être tranquilles tant qu’ils ne
seraient pas arrivés en lieu sûr, dans un endroit où ils pourraient enfin
prendre un repas, se doucher et se reposer dans des draps propres. Nous
étions d’autant plus angoissés qu’ils avaient été relâchés environ quatre
heures après le début du couvre-feu. Nous ne savions pas précisément où la
police militaire les avait déposés. Et ils n’avaient aucune preuve
d’identité sur eux – leurs papiers avaient été confisqués au moment de
l’arrestation.
C’est cela qui nous préoccupait surtout, car à la nuit tombée, le Caire se
transforme en un inextricable labyrinthe de postes de contrôle tenus par des
jeunes gens qui patrouillent dans les rues après le début du couvre-feu, à
17 heures. La présence de policiers en uniforme, d’agents de sécurité en
civil et de militaires appuyés par ce qui nous semblait être la moitié de
tout l’arsenal égyptien de tanks et de véhicules blindés venait parachever
l’ambiance angoissante. Difficulté supplémentaire, le palais présidentiel se
trouvait sur notre chemin. Et pour couronner le tout, nous avons constaté
que dans certains quartiers du Caire, le couvre-feu pouvait pour de bon être
appliqué et respecté.
Nous avons avancé dans la ville, en étant arrêtés à chaque instant pour un
contrôle d’identité ou une fouille du véhicule. Nous avons dû faire de
nombreux détours pour passer les artères qui étaient barrées. Et tandis que
nous progressions vers eux, nos collègues avançaient eux aussi à notre
rencontre, confrontés aux mêmes dangers et à d'autres barrages. Notre point
prévu de rencontre ne cessait de changer car nous essayions chacun de notre
côté de déterminer le meilleur endroit ou nous retrouver et pouvoir passer
le reste de la nuit. Nous avons à plusieurs reprises changé d’itinéraire,
parfois juste après avoir franchi de manière très laborieuse un barrage
particulièrement difficile. À un contrôle, un soldat nous a regardé l’air un
peu troublé et embêté, puis il nous a dit : « Mais je viens de vous voir,
non ? Pourquoi êtes-vous revenus ? » Un autre nous a mis en garde : « « Vous
savez que le couvre-feu est en vigueur depuis six heures. Vous avez intérêt
à avoir une bonne raison d'être dehors. » Nous avions une bonne raison.
Au bout de deux heures, et après un nombre incalculable de coups de fil avec
les collègues de Londres, de New York et du Caire qui suivaient notre
progression, nous avons enfin cru apercevoir le bout du tunnel. Mais c’est
alors que nous avons appris que nos collègues étaient peut-être de nouveau
arrêtés et que les militaires étaient en train de les reconduire aux
Renseignements généraux. Alors qu'ils nous attendaient à l'intérieur d'un
taxi, ils avaient été interpellés par des militaires qui, dans un premier
temps, n'avaient pas cru les raisons pour lesquelles ils se trouvaient
dehors sans pièce d’identité en plein couvre-feu. « Nous venons d’être
libérés par les forces armées après presque deux jours de détention »,
avaient-ils expliqué. Voilà qui méritait bien une nouvelle vérification,
avaient décidé les militaires !
L’épisode nous fait bien rire aujourd’hui et n’a pas fini d’être raconté
comme une bonne anecdote, mais cette nuit-là, c'est un peu comme si un
nouveau cauchemar commençait alors que nous venions à peine d’évacuer le
premier. Nous avons continué à avancer, point de contrôle après point de
contrôle. L’ami qui était au volant a déployé des trésors de patience.
Tout s’est heureusement résolu et nous avons pu retrouver nos collègues peu
de temps après devant un hôtel. Malgré leur fatigue et l’épreuve pénible
qu’ils venaient de vivre, ils étaient capables de plaisanter à propos de
certains épisodes vécus en détention. Impressionnant ! Ils nous ainsi
raconté l'étonnement d’un photographe étranger détenu avec eux quand il
avait découvert que lorsqu’on dit « cinq minutes » en Égypte, cela ne
signifie pas vraiment cinq minutes. Ils ont aussi plaisanté sur la pénurie
de couvertures et l’attitude de certains détenus peu désireux de partager
celles qu'on leur avait apportées.
Nos collègues étaient aussi très inquiets du sort de la trentaine de
militants égyptiens des droits humains encore détenus. Tous ont heureusement
été remis en liberté samedi et ont pu retrouver leurs proches.
On ignore exactement la raison pour laquelle toutes ces personnes ont été
arrêtées. Nous nous demandons par ailleurs si les autorités égyptiennes vont
expliquer pourquoi ces défenseurs des droits humains et ces journalistes ont
été arrêtés sans mandat, détenus dans des conditions pénibles durant deux
jours et privés de la possibilité de contacter leur famille, leurs amis et
un avocat.
Tout est bien qui finit bien pour nos deux collègues, certes, mais le récit
qu’ils nous ont fait de leur détention aux mains des forces armées nous
inquiète beaucoup. Les bâtiments militaires dans lesquels ils se trouvaient
débordaient littéralement de détenus. Ils ont entendu les cris de personnes
que l’on frappait, de toute évidence. Malgré toutes les promesses de
réformes, de changement et de fin de l’impunité, les coups et les violences
continuent d’être la norme pour les personnes privées de liberté.
Que de choses vécues en ce samedi ! Pour la dernière fois, Inch’ Allah !
Nous sommes retournés aujourd’hui dans les bureaux de l’ONG égyptienne où
nos collègues ont été arrêtés – comme des assassins qui reviennent sur les
lieux de leur crime ! Nous avons pu nous projeter dans l’ambiance qu’ils
venaient de nous décrire. Quel étonnement de voir la vitesse à laquelle la
vie a repris son cours sur la place du marché au coin de la rue, là où
quelques heures plus tôt 35 personnes menottées avaient été embarquées de
force dans des voitures, sous les huées de passants en colère qui les
accusaient de trahison. Tout comme la veille, le vendeur de rue était en
train d’arranger son étal et de disposer ses oranges en pyramide.
FIN