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VU DANS LIBE

Par Adeline Hazan Maire de Reims et secrétaire générale adjointe de l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF)

Le géant Hersant Média s’enrhume, la presse locale tousse, la France reste indifférente. Paru Vendu, Paris Normandie, l’Union : tous ces plans sociaux s’inscrivent de façon presque évidente dans un contexte de crise économique globale, et de la presse en particulier. Tout se passe comme si la mort des médias locaux était inexorable, les plans de licenciement inévitables, la fin de la presse écrite…

Cette réalité économique, l’élue locale que je suis en fait l’expérience douloureuse. A Reims, l’avenir d’un titre créé à la Libération par des résistants, l’Union, est menacé par un plan social touchant 270 postes, dont 37 journalistes. Le fatalisme ambiant voudrait que les différents rachats des titres de Presse quotidienne régionale (PQR) par de grands groupes, parfois bien éloignés des réalités du journalisme, ne soient qu’une étape vaine pour retarder l’agonie de la presse. Mais rendons-nous à l’évidence, la PQR n’est pas la seule touchée par cette crise.

La presse quotidienne nationale accuse elle aussi le coup à l’heure où Internet impose le culte de la transparence et de l’immédiateté. Les tribulations du Monde, du Nouvel Obs et de Libération ont fait la une du tout petit monde médiatique parisien. Car le possible rachat du Monde alerte jusqu’au sommet de l’Etat, quand la fin d’un titre local tel que l’Union, ancré dans un territoire, n’émeut pas au-delà du plan social qui l’accompagne. Evidemment, puisque c’est «inévitable». Et pourtant, à l’heure où le rôle politique des régions s’affirme dans la république comme au sein de l’Europe, comment peut-on faire si peu de cas de la disparition des médias régionaux ?

La PQR fait partie de la vie de la région, de son identité culturelle, de ses repères. Bien sûr, on ne peut fermer les yeux sur la réalité des problèmes économiques. Ceux qui pensent que les médias ne sont pas liés aux fluctuations de l’économie se trompent. Un journal est une entreprise comme les autres, soumise aux mêmes impératifs de rentabilité. La qualité de l’information s’en ressent-elle ? Non, tant que les journalistes travaillent pour remplir leur objectif premier : enquêter, décrypter, informer. Le modèle de l’entreprise capitalistique est-il compatible avec la production d’une information libre et pluraliste ? L’inféodation des grands quotidiens régionaux aux baronnies locales est-elle la condition de survie d’un titre ? Telles sont les questions essentielles qui n’ont été qu’effleurées ces dernières années à longueur d’«états généraux» sur l’agonie de la presse écrite.

Il n’y a pas de démocratie locale sans presse régionale libre. L’autonomie économique de l’entreprise de presse, la souveraineté des rédactions sur leur ligne éditoriale, la capacité à innover, conditionnent la liberté des médias régionaux. Les Français ne se désintéressent pas de l’actualité : ils vont la chercher par d’autres canaux. Internet a bousculé la manière dont le grand public s’informe et compose «son propre journal», de sorte que Twitter devient une source d’information au même titre que le JT de 20 heures. Comment rendre attractifs des titres qui appartiennent au patrimoine d’une région, que nos grands-parents lisaient déjà ? Tout d’abord en renouant avec les lecteurs, en retournant à leur rencontre sur le terrain, en leur donnant la parole. Internet est un réel espace démocratique dans lequel s’exercent des pratiques d’alerte et de vigilance de la part de l’opinion publique. L’information ne peut plus être descendante : il faut qu’elle intègre cette perturbation de la parole critique du grand public, à une époque où les citoyens doutent de la parole officielle - et c’est heureux.

Les médias régionaux doivent renouveler leur modèle économique pour conquérir les jeunes. Près de la moitié des moins de 35 ans commentent les articles sur le Web et les relaient sur les réseaux sociaux. Les titres régionaux ont souvent utilisé la Toile comme vitrine de leurs éditions papiers. Prises dans un étau, tiraillés entre la qualité de l’information et la rentabilité économique qui exige de la produire «vite», la PQR et la PQN ont du mal à faire valoir leur plus-value. Quelle peut être cette plus-value, quand l’information brute est retransmise sans recul sur le Web ? Le fond. L’investigation, l’enquête, le reportage : tout ce que les médias et les journalistes d’aujourd’hui n’ont plus le temps, plus l’argent de faire. Le pire n’est pas certain. La presse écrite régionale n’est pas encore morte. C’est à nous, élus locaux et pouvoirs publics, d’aider nos médias à franchir ce cap, de soutenir les nouvelles initiatives, de secourir ces titres qui parfois nous égratignent. C’est à nous de soutenir leur indépendance, de protéger la liberté de la presse, de veiller à la diversité des canaux d’information, de garantir dans nos territoires les conditions d’exercice d’un journalisme restauré dans sa vocation première : informer un public qui ne croira pas sur parole. Car quand la presse s’enrhume, c’est toujours la démocratie qui tousse.

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