« La valorisation gouvernementale de la “démocratie sociale” ne doit pas masquer la réalité : se syndiquer reste un combat dans les entreprises. » La phrase résume la teneur du rapport rendu public hier par les chercheurs, syndicalistes et juristes de l’observatoire de la discrimination et de la répression syndicale, mis en place en 2012 par la Fondation Copernic pour mettre au jour et combattre les atteintes, multiformes et massives, aux droits syndicaux en France. Après deux colloques, l’observatoire poursuit son travail avec cette publication qui dresse un état des lieux et formule 37 propositions pour améliorer l’effectivité du droit syndical, renforcer les sanctions contre les employeurs, mais aussi améliorer la production de données statistiques ou scientifiques sur un sujet trop souvent occulté (1).
« Nous voulons interpeller les pouvoirs publics, susciter des recherches et servir d’outil militant pour les syndicalistes en entreprise », a expliqué hier Didier Gelot, de la Fondation Copernic, lors d’une conférence de presse. Pour le constat, le document s’appuie sur les données statistiques officielles tout en dénonçant leur insuffisance, sur des travaux de sociologues et sur une cinquantaine de témoignages recueillis sur son site Internet. Il souligne le contraste entre « un vaste appareil juridique proclamant et défendant le droit des salariés à se syndiquer » et une réalité de terrain où l’activité syndicale est « encore trop souvent un enjeu de luttes et de rapports de forces ». Autrement dit, les employeurs, privés comme publics, n’acceptent pas la présence syndicale et les formes d’entrave sont multiples : sanctions disciplinaires, licenciements, harcèlement, discrimination sur le salaire et la carrière, manœuvres pour empêcher l’implantation syndicale, ou encore découpage artificiel des sociétés pour ne pas franchir les seuils d’effectifs entraînant de nouveaux droits pour les salariés… Sans oublier les entraves aux institutions représentatives du personnel (IRP). « À titre individuel, cela détruit les personnes, provoque des dépressions et des problèmes familiaux, avec une impression d’impunité totale », a dénoncé hier Anne Debregeas, de SUD énergie, tandis qu’Étienne Penissat, sociologue au CNRS, soulignait l’effet collectif de ces attaques : « Quand un tiers des salariés ne se syndiquent pas par peur des représailles, cela a un impact sur leur protection en général car, dans les entreprises où il y a un syndicat, les conditions de travail sont moins dégradées, il y a moins d’accidents du travail. Le non-respect des droits syndicaux a un effet sur le corps social. »
Face à ces pratiques en principe illégales, le nombre de poursuites et le niveau de sanction restent faibles, souligne le rapport, qui dénonce « l’inertie de l’État ». Là encore, l’appareil statistique s’avère quasi inexistant, mais on recense 68 condamnations pénales pour discrimination entre 2000 et 2009, et une trentaine de poursuites pénales par an pour délit d’entrave suite à des procès-verbaux d’inspecteurs du travail, trop souvent classés… Parmi les 37 propositions du rapport, figurent celles de faciliter les actions en justice des salariés par la possibilité d’une action collective, de renforcer les sanctions contre l’employeur au civil et au pénal, de donner plus de moyens à l’inspection du travail. Les auteurs en appellent à une politique pénale qui fasse de la lutte contre la discrimination syndicale une priorité. Ce qui supposerait des formations pour les policiers, gendarmes et magistrats. Enfin, ils suggèrent de renforcer les droits syndicaux, par exemple en abaissant de 11 à 5 le seuil imposant des élections de délégués du personnel, ou en étendant les prérogatives des institutions du personnel d’un site aux sous-traitants. Des propositions à contre-courant des orientations du gouvernement, qui a fait sienne la vision patronale de l’activité syndicale comme un frein à la croissance. Le seul projet de loi Macron, officialisé hier, s’attaque aux prud’hommes, à l’inspection du travail, veut réduire la sanction en cas de délit d’entrave, et pourrait intégrer le résultat de la négociation sur le « dialogue social » où le Medef propose la suppression du CHSCT. « On ne se fait pas d’illusions sur ce que fera le gouvernement, a expliqué Anne Debregeas, mais on veut mettre en lumière ces situations inacceptables de répression et montrer que ce n’est pas une fatalité. » (1) Voir le site http://observatoire-repression-syndicale.org