Mon vieux Ferrat est mort.
Ferrat,était le chanteur officiel de mon enfance avec Montand et Gérard Philippe l'acteur de référence,quand on est fils de parents communistes c'était comme celà. Il parait qu'un caractère se forge dans les cinq premières années de l'existence, dont on ne se souvient de presque rien. Il m'en reste, moi, une chanson, "La Montagne", qui passait souvent à la radio de mes parents. Ce n'est pas ma chanson préférée, même si elle est très belle. Mais c'est à peu près tout ce qui me reste de mon enfance.
Surtout, il y a mon adolescence, et le choc d'entendre des chansons politiques, de gauche, qui faisaient aimer la politique et qui faisaient aimer la gauche. Le fait que certaines de ces chansons aient été censurées (qui se souvient qu' "Un air de liberté" s'en prenait au gentil d'Ormesson ?) et Ferrat déclaré indésirable à la télé d'Etat (inconcevable aujourd'hui !) ne faisaient que renforcer ma sympathie pour le personnage et mon attirance pour ses chansons. En les écoutant en douce pour ne pas afficher mon admiration de social traite au chanteur référence, j'avais un peu l'impression de se livrer à un acte clandestin et contestataire ...
Aujourd'hui, quand je les écoute à nouveau, je ne peux m'empêcher de me dire que quelques-unes de ces chansons ont politiquement vieilli (je pense en particulier aux "Bruits des bottes", qui m'a tant enchanté quand j'avais quinze ans). Au sommet, je mettrais "Ma France", qui me fait toujours frissonner quand je l'entend. Sans oublier, bien sûr, les chansons de Ferrat qui abordait les questions de société : la vieillesse, les médias, la libération sexuelle (réécoutez "L'amour est cerise", c'est formidable !). Ferrat a même du réussir à faire aimer les chiens avec c'est son magnifique "Oural".
On a cherché à m'embêter sur l'appartenance communiste de Ferrat, me sachant socialiste. Quelle ignorance ! Ferrat a été l'un des premiers à critiquer le PCF, à prendre ses distances, à une époque où le parti de Georges Marchais faisait 15 à 20%. Sa chanson "Le bilan" contestait le secrétaire général de l'époque, qui avait déclaré que le bilan des régimes soviétiques était "globalement positif". Il fallait oser (et dire ça, et le remettre en question) ! Non, le socialiste que je suis était parfaitement à l'aise dans l'univers politique de Jean Ferrat.
Et puis, il y a le Ferrat qui nous a fait découvrir et aimer ("nous", ce sont les enfants des classes populaires) Aragon, le symbole de la grande culture, de l'impénétrable et inaccessible poésie. C'est là, pour moi, où il aura été le plus grand, où il aura effectué, dans mon jargon, une tâche d' "éducation populaire". Réécouter,la chanson-poème, qui déclenche en moi une incompréhensible émotion, "Un jour un jour", dont voici le refrain:
Un jour de palme, un jour de feuillage au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche.
Je ne saurais dire mieux pour rendre hommage à mon vieux Jean Ferrat.
Triste début de journée.