Je viens à l'instant de terminer d'écouter le discours de clôture de Martine Aubry à La Rochelle. Je ne sais pas trop ce que les médias et commentateurs en retiendront, je vous livre mon sentiment immédiat. Je pourrais le résumer en deux mots : classique et socialiste.
Mais d'abord, il vaut revenir sur ce type d'exercice, dans lequel François Hollande excellait, en un mélange d'humour et de lyrisme qu'on ne retrouve pas chez Martine. Le discours-fleuve (une heure trente), exhaustif (toutes les rubriques de la politique sont passées en revue) et lu est un genre passé de mode. La télévision a imposé ses canons : une intervention doit être courte, précise et spontanée. C'est donc une redoutable épreuve, quasi impossible, que s'impose tout premier secrétaire en clôturant l'université d'été.
L'objectif est double et ces deux aspects sont difficilement compatibles : d'une part s'adresser aux socialistes présents sur le ton du meeting, d'autre part parler pour les caméras de télévision et les radios qui reprendront dans la journée et demain matin quelques secondes seulement du discours. C'est pourquoi il y a le décor de la tribune en direction des militants et le panneau bleu ciel parsemé d'autocollants PS juste derrière Martine, en fond "télé". C'est un discours qui vise à être repris, cité, commenté, à assurer le buzz, à occuper l'espace médiatique durant les prochaines heures. Pour ma part, ayant suivi la totalité de l'intervention, je ne retiendrais que l'impact qu'elle a pu avoir sur la salle et mes camarades.
C'était un discours très classique, sans effet oratoire, sans élévation de voix, sans formule choc, sans surprise, sans métaphore riche, sans ironie dévastatrice : un discours d'élu de terrain et de leader charismatique. En ce sens, la salle, composée pour beaucoup d'élus, a pu s'y reconnaître et certainement apprécier. On aime que ce en quoi ou en qui on s'identifie. Et puis, le temps des tribuns est fini, l'éloquence n'est plus de mise, la rhétorique inquiète plus qu'elle n'emballe.
Il ne reste plus à gauche que deux ou trois discoureurs à l'ancienne, Fabius, Mélenchon et aussi dans cette catégorie surannée Delanoë. C'est significatif qu'ils n'aient plus des rôles de premier rang. Je le déplore mais c'est ainsi : on ne réussit plus en politique en parlant bien et en soulevant l'enthousiasme d'une foule (les applaudissements, agitations de drapeaux et standing ovation sont souvent sur commande). C'est l'époque et la télévision qui veulent ça, qui ont tué le lyrisme politique d'autrefois. C'est aussi toute une société qui a changé : on ne cherche plus à admirer un responsable politique mais à s'identifier à lui, c'est ce qui fait son succès, c'est ce qui assure désormais les promotions.
Il y a trente ans, ce qui m'épatait chez Mitterrand, ce qui faisait que je l'admirais surtout , c'était son personnage hors du commun, presque surgi de l'Histoire ses airs distants, son langage très littéraire, ses références culturelles. Avec Ségolène Royal et Martine Aubry, qu'on prendrait volontiers pour de bonnes copines, nous avons basculé dans un autre monde, les mécanismes psychologiques de la représentation ont complètement changé.
Revenons-en à Martine: son discours a été classique dans la forme et classiquement socialiste dans le contenu. Rien n'y a manqué : critique de Sarkozy et rappel de nos principales propositions. Martine a veillé à ne pas trop paraître perso, à gommer tout ce qui pourrait faire penser à un ego, à jouer collectif, en citant tout au long de son intervention, régulièrement, les noms des principaux responsables socialistes, sans en oublier. Les élus ont été particulièrement mis en avant.
Ce discours est à l'image des deux ans de mandat de Martine Aubry à la tête du Parti socialiste : elle a réussi le tour de force d'unir une formation divisée et de rénover un appareil largement vieilli dans ses pratiques. Ce n'est bien sûr qu'un début, mais je crois que c'est bien parti. Imposer les primaires, le non cumul des mandats, rassembler des sociaux-démocrates jusqu'à l'aile gauche, il fallait quand même le faire ! Comment a-t-elle réussi jusqu'à présent ? En étant classique et classiquement socialiste, en collant scrupuleusement à l'air du temps afin d'être suivie.