Il faut absolument que la gauche sorte la classe ouvrière de l'emprise du Front national. Rien ne me semble plus urgent. En faisant comment ? Sans surenchère (l'extrême gauche n'attire pas plus les milieux populaires) mais en redevenant nous-mêmes. De trois façons :
1- D'abord, il faut que nous cessions d'être des robinets d'eau tiède au langage châtié, technocratique, diplomatique. Sachons utiliser les mots de la passion, les formules de l'enthousiasme : la politique s'adresse autant au coeur qu'à la raison, j'ai l'impression que nous l'avons oublié. Le FN n'a pas de programme sérieux (à la différence du PS) mais il a des formules-chocs, des expressions qui font tilt, des métaphores odieuses mais parlantes.
A force de nous soumettre à la communication, nous avons écarté l'émotion. Je ne demande pas que nous soyons lyriques comme Mélenchon ou hargneux comme Le Pen : cultivons avec des termes qui touchent, un langage simple et vif, notre différence. Nous avons plein d'idées justes mais nous ne savons plus parler au peuple. Réapprenons. Jaurès, Blum, Mitterrand savaient faire.
2- Ensuite, n'ayons pas peur d'appeler un chat un chat, écartons le vocabulaire politiquement correct, d'inspiration droitière (reprendre les mots de l'adversaire, c'est intégrer la défaite). Cessons de parler des "assistés" mais utilisons le mot précis : les pauvres. Arrêtons d'évoquer les "classes moyennes", cette invention des sociologues libéraux dans les années 70, qui ne veut strictement rien dire à force de vouloir tout dire (deux Français sur trois, selon Giscard !): en vérité, c'est de la petite bourgeoisie dont il est question, à distinguer de la grande et bien sûr des classes populaires. La bande à Le Pen, qualifions-la pour ce qu'elle est et non pas pour ce qu'elle fait croire : des fascistes.
3- Enfin, réhabilitons d'urgence la lutte des classes, qui est nécessaire à notre vie démocratique. Une société n'est pas un ensemble harmonieux, homogène, unanime, ce sont des groupes dont les intérêts et les opinions diffèrent et parfois s'affrontent. La démocratie traite pacifiquement de ces conflits et permet leur représentation. En matière politique, c'est le combat électoral entre les partis ; en matière sociale, c'est la lutte des classes à l'aide des droits institutionnels (syndicalisation, grève, manifestation).
N'étant pas communiste ni d'extrême gauche, je ne crois pas que la lutte des classes débouchera sur la révolution, encore moins que nous aboutirons un jour à une société sans classe, comme le croyait Marx. Mais la lutte des classes me semble nécessaire à la vitalité démocratique d'une société, en vue de son progrès social. A défaut, nous avons ce que nous voyons aujourd'hui : la lutte des races s'est substituée à la lutte des classes, la haine à l'émancipation, l'extrême droite à la gauche.
A quelques jours du Premier Mai, souvenons-nous en et faisons en sorte que ça change.