C'aurait pu être le premier vrai débat politique de la campagne des présidentielles. Il s'est misérablement achevé en polémique. Le porte-parole de François Hollande a proposé la suppression du quotient familial et son remplacement par un crédit d'impôt. La droite a vivement réagi, parlant de "folie", de "danger", de "guerre". Le candidat a précisé ses intentions : il ne s'agit que d'une proposition, qui ne vise pas à la suppression mais à la modulation du quotient familial. Fin de la polémique, pas de débat.
Je le regrette. La suppression du quotient familial, je suis pour. C'est une mesure forte comme la gauche en a besoin. Il faut frapper l'opinion, mobiliser notre électorat, mener la bataille idéologique, à la façon de Nicolas Sarkozy en 2007. Osons être de gauche comme il a alors osé être de droite ! Le quotient familial c'est quoi ? Un dispositif fiscal qui devient techniquement compliqué quand vous entrez dans les détails et les cas particuliers. C'est pourquoi il ne faut jamais aller sur ce terrain-là, trop facile à l'adversaire. Ce qui compte, c'est seulement la signification politique, et celle-là tout le monde la comprend.
Le quotient familial repose sur un principe très simple : plus vous avez d'enfants, moins vous payez d'impôts. La raison ? Il faut les élever, les allocations familiales n'y suffisent pas. Sauf que la moitié des Français ne paient pas d'impôts parce qu'ils ne gagnent pas suffisamment d'argent pour en payer. Eux ne bénéficient donc pas du fameux quotient, alors qu'ils ont beaucoup plus de difficultés que les autres à élever leurs enfants. Plus vous êtes riches, plus vous avez d'enfants, plus on vous soulage fiscalement. Le quotient familial est donc injuste, il faut le supprimer.
Pourquoi la droite y tient-elle ? Parce que c'est dans ses gènes, comme dirait Xavier Bertrand (à propos d'autre chose). Idéologiquement, elle idéalise la famille, en fait la base de la société. La norme c'est papa maman et enfants. Un monde de célibataires, de concubins ou de couples sans progéniture n'entre pas vraiment dans sa vision. Moi ça ne me dérange pas. A mes yeux, mariage et procréation ne sont pas en soi des valeurs supérieures que le fisc devrait récompenser et encourager.
Du point de vue de la société, n'est-il pas cependant logique d'encourager la natalité ? Oui éventuellement. Mais pas fondamentalement par des avantages fiscaux. C'est plutôt par l'emploi, les bonnes conditions de travail, les salaires corrects, l'avenir assuré des enfants que des hommes et des femmes, s'ils le souhaitent, s'engagent à fonder une famille. Surtout, il faut encourager la natalité dans la justice : d'où l'idée du crédit d'impôt pour tous en remplacement du quotient familial réservé à certains.
Cette réforme aurait un impact considérable. La mécanique de la redistribution, chère à nous socialistes, serait ainsi puissamment réactivée, par un vaste transfert financier des catégories aisées aux catégories populaires. Les premières seraient perdantes ? Si vous voulez, mais je crois qu'au niveau confortable qui est le leur on n'est jamais vraiment perdant, on a suffisamment de marge pour voir venir. Et puis la politique consiste à faire des choix et non pas à faire plaisir à tout le monde. Si les catégories supérieures doivent y perdre, je ne dis pas tant mieux (je ne suis pas un révolutionnaire qui cherche à les spolier) mais quand même !
Pourquoi mes camarades, qui savent tout ça et qui pensent comme moi, hésitent-ils à revendiquer fièrement la suppression du quotient familial ? Parce qu'ils partagent une religion aujourd'hui très répandue et que je ne cesse de dénoncer, la religion des classes moyennes. Elles sont partout, presque tout le monde semble en faire partie, les discours politiques s'y réfèrent comme une litanie, personne n'ose s'élever contre elles (les riches sont décriés, les pauvres sont méprisés, les moyens sont vénérés), chacun est fier d'en être (j'en suis !), on ne sait pas à vrai dire ce qu'elles sont exactement tellement elles regroupent de catégories différentes, on croit volontiers qu'elles seront la clé du prochain scrutin présidentiel .
Cette religion des classes moyennes est en réalité une superstition, une baudruche si grosse qu'il est facile de la faire éclater. Pour la gauche, ce ne sont pas les illusoires classes moyennes qu'il vaut viser, mais les classes populaires. Ce sont elles, et elles seules, qui décideront du résultat. Si nous parvenons à les arracher à l'extrême droite et à les mobiliser autour d'un programme de gauche, ce sera gagné. La suppression du quotient familial n'aura d'effet positif qu'en direction des classes populaires. Les classes moyennes dans leur majorité n'y perdront rien (mais n'y gagneront rien non plus, c'est un fait). Là encore, il faut savoir ce qu'on veut, quels choix on fait . Un socialiste doit d'abord penser aux classes populaires (ce sont mes origines).
Je termine par où j'avais commencé : les attaques de la droite contre François Hollande. Quelques camarades se scandalisent. Moi je me réjouis : en politique les critiques, les agressions, les injures sont des brevets, des décorations, des médailles. Le pire est de susciter l'indifférence. Hollande fou dangereux ? Traduction : c'est un excellent candidat pour la gauche, c'est un sérieux danger pour la droite. Vivement les prochaines attaques ! Et à bas le quotient familial ! Politiquement, la mesure ne va pas de soi. Elle ne peut être défendue que par tout un travail de pédagogie qui désarme les préjugés (destruction de la famille, atteinte aux classes moyennes, etc).
Mais je viens de dire que la politique était un combat ...