Sous le sceau du doute
LE 3 OCTOBRE :VOTEZ
Les fureurs du procès Clearstream ont presque fait passer au second plan les colères de La Poste et des postiers. Le second sujet est autrement plus important, pourtant, que le premier. L'un est réduit à une lutte féroce entre deux protagonistes du pouvoir. L'autre touche personnellement tous les Français. Intime, passionnel et presque charnel. Cet étrange télescopage entre deux abcès de fixation est assez symptomatique du malaise d'une France qui cherche difficilement son chemin dans la modernisation de sa vie politique comme de son fonctionnement administratif.
La grève des postiers va bien au-delà d'une affaire de courrier. Plus encore qu'une question de statut, elle met au jour un problème d'identité. L'image que les Français se font de leur propre pays et de leur style de vie quotidien. Bouger La Poste c'est ébranler un monument qui structure la personnalité collective de la nation.
Le gouvernement a fait beaucoup d'efforts pour minimiser le changement de statut de « l'établissement public à caractère commercial » qui doit devenir une banale société anonyme. La mise en conformité avec la libéralisation totale des services postaux réclamée par l'Union européenne ne suffit pas à justifier cette évolution. Ce sont bien des impératifs économiques et la nécessité d'apporter des nouvelles sources de financement à La Poste qui justifient l'évolution prévue par le projet de loi bientôt discuté devant le Parlement. A première vue, que de bonnes raisons plaident pour cette mutation, à commencer par la métamorphose du marché postal qui perdra 30 % de parts de marché d'ici à 2015. Le texte veut donner des garanties rassurantes, mais c'est précisément là où le bât blesse.
Personne ne parvient à croire le ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, quand il affirme que La Poste restera à cent pour cent publique. Cette profession de foi d'un jour a peu de chances de résister au phénomène de glissement larvé vers la privatisation qu'ont connu GDF et France Télécom. Ces deux géants avaient pourtant bénéficié des mêmes promesses apaisantes.
Le changement de culture d'entreprise ne peut pas être, lui non plus, sous-estimé. Au service de tous, sur tout le territoire, on substitue les règles et les contraintes de la concurrence. Les salariés de France Télécom sont bien placés pour dire aujourd'hui que ce bouleversement a des conséquences lourdes sur l'organisation de leur travail. Quant aux usagers qui s'inquiètent de la suppression des bureaux de poste trop peu fréquentés, il faut bien admettre que leur crainte est légitime. La carte des fermetures des bureaux-3 par jour- au cours des deux dernières années est révélatrice de l'ampleur de ce mouvement. Il faut être un haut fonctionnaire parisien pour voir un progrès dans le remplacement d'une fidèle et conviviale poste de village par la multiplication des mini-guichets dans les commerces. Une question d'âme, assurément.