Remois , qui n'a pas connu la Brasserie Du Boulingrin et son amblématique patron René chez on pouvait se présenter à point d'heure pour manger (j'en ai fait plusieurs fois l'expérience).
À quelques jours de la fermeture de la brasserie du Boulingrin qui devrait renaître dans un autre local, Pierre Leleu nous raconte l'histoire de la brasserie créée par son grand-père.
C'est non sans une émotion certaine que Pierre Leleu, 65 ans, a retrouvé l'ambiance des halles Boulingrin il y a quelques semaines. Un peu navré pourtant ce samedi-là de ne pas pouvoir aller boire une coupe au bar de la brasserie du Boulingrin, bientôt condamnée à quitter les lieux, il nous a parlé de ce temple qu'il a bien connu et où il est né. Une brasserie créée en 1925 par ses grands-parents.
« C'est mon grand-père Elie Leleu, qui, en 1925, a créé « Le Boulingrin » avec son épouse Claire, soit quatre ans avant l'ouverture des halles. C'était un bar à l'origine où les gens pouvaient manger sur commande et qui organisait tous les dimanches un concert symphonique avec apéritif et soirée. »
C'est leur fils unique, René qui a repris l'affaire en 1940. « Si c'est lui qui avait de la gueule, comme on dit, homme de contact, jovial, qui offrait une petite coupe de l'amitié aux parents et une grenadine aux enfants ; c'est grâce à ma mère, née Marguerite Cortet, courageuse et volontaire, un vrai chef, que la brasserie s'est développée. Au départ, en effet, ils se contentaient de réchauffer les plats amenés par les commerçants des halles qui leur achetaient seulement des frites vendues dans une baraque donnant sur la rue et tenue par Elie. Assez vite, ma mère a commencé par proposer un plat du jour puis un menu avant de constituer une vraie brigade de cuisine avec un chef, André Jacobé, avant de retourner à la caisse. »
Dans l'établissement, René et Marguerite étaient aidés de leurs trois enfants : Jacqueline, Madeleine et Pierre. Ils faisaient jusqu'à 300 couverts.
Restaurant le midi et le soir, le Boulingrin nommé « Chez Leleu-Brasserie du Boulingrin » redevenait bar le matin avec casse-croûte dès 6 heures du matin et même soupe à l'oignon gratinée dès 3 heures à la sortie des cabarets.
Pas question de lambiner
Né dans la brasserie, Pierre Leleu y a passé son enfance. « Quand je rentrais de l'école Jeanne-d'Arc, j'avais mon petit coin de table pour faire les devoirs. Quand j'avais bien travaillé, on m'emmenait faire les courses aux halles. Un émerveillement. Les poissonniers faisaient revivre poissons et crustacés au milieu des algues et d'une épaisse couche de glace formée de mille glaçons. Les bouchers suspendaient derrière eux à des crochets des morceaux de viande. Les fromagers envahissaient leurs vitrines de fromages de tout l'hexagone sans oublier les maroilles aux vendanges. Les maraîchers présentaient leurs fruits et légumes comme un peintre avec sa palette de couleurs. Il y avait la souriante Mado avec les fleurs de son jardin… »
Pierre Leleu se souvient aussi des hurlements de son père qui interpellait Larue de l'autre côté de la rue pour qu'il vienne répondre au téléphone ; les conversations sans fin avec le père Eugène Budes le poissonnier qui passait presque plus de temps chez Leleu que dans son commerce juste en face. Il se rappelle aussi qu'ayant terminé l'armée un 30 novembre à 8 h 05, il n'eut même pas le temps de dire bonjour. On lui a demandé de se mettre au boulot immédiatement.
Au chapitre des souvenirs, le fils de René Leleu se rappelle encore le bon temps quand les cirques Pinder, Zavatta et Jean Richard stationnaient sur le Boulingrin. Ou quand, en 1978, Claude Lamblin (PCF) et Jacques Kosciusko-Morizet (RPR), tous les deux candidats aux législatives, étaient en même temps dans la brasserie et qu'il fallait faire comme si de rien n'était.
Pour la famille Leleu, l'histoire s'est arrêtée en 1979 avec le départ à la retraite de René et la reprise par M. Allias qui fit rapidement faillite, l'établissement restant alors fermé pas mal de temps.
Alain MOYAT