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  • INTERESSANT

    La déroute vient de loin. Inutile de remonter le fil jusqu’à la genèse de la dérive, foin du rappel des étapes successives du renoncement, les critiques annonciatrices de cette infâmie électorale sont nombreuses et trouvent leur source partout à gauche, dans tous les groupes parlementaires, dans tous les partis. Bref, nous avions prévenu.

    L’exécutif persévère dans des recettes pourtant à bout de souffle. Et s’engage seul, de plus en plus seul, vers l’abîme du social-libéralisme, qui n’est en fat qu’un libéralisme light. Pire, la musique qui s’installe, en guise de « réponse » au « malaise-des-français-qu’il-faut-entendre-parce-que-l’abstention-montre-une-défiance-bla-bla » serait d’aller plus vite encore.

    Certains vont encore nous proposer, toute honte bue, que la demande de la société française est une demande de plus à droite. Ceux-là se trompent : il n’y a pas plus d’électeurs en faveur du Front national. Ils en perdent même deux millions. Mais la gauche socialiste, elle, en perd 7 millions. Autrement dit, nos électeurs ont fait grève.

    Quelles sont les tâches des uns et des autres ?

    Bien que sceptique sur son envie d’écoute à l’heure où je rédige ces lignes, je dois quand même dire qu’il revient à François Hollande de marquer les esprits au Sommet de Bruxelles ce mercredi 28 mai. Cette Europe là ne marche pas, les peuples n’en veulent pas et la première suggestion qu’il doit faire est le renoncement – utile, celui-là – à l’absurde règle d’or et d’austérité des 3%. Elle bride, elle affaiblit et, parce qu’elle empêche les politiques publiques ambitieuses elle conduit à l’impuissance. Et ainsi monte l’abstention (à quoi bon voter ?) et donne de la force au discours volontariste des néofascites du Front National.

    Le deuxième impératif est qu’au Parlement, les socialistes ayant initié l’appel des 100 doivent s’élargir : de nombreux députés socialistes veulent désormais que cela change et sont prêts pour cela à se regrouper autour d ‘une plate-forme de propositions et d’actions législatives qui fasse d’investissement public et de la justice sociale et fiscale la priorité.

    La troisième exigence est l’unité de la gauche : de ce point de vue, je ne doute pas que les nombreuses initiatives d’ores et déjà prévues d’ici la fin août seront fécondes. Quel agenda pour cette deuxième partie du quinquennat ? La tâche théorique est immense, mais possible et nécessaire : passer de la simple addition (et parfois soustraction) des forces à leur synthèse véritable, à leur projection commune. Autrement dit : nous devons mettre nos intelligences au service de la synthèse du socialisme, de la démocratie et de l’écologie.

    Peut-on remettre en perspective un horizon commun ? Car tout ne peut se résumer à un échange d’argumentaires économistes, a fortiori pour sortir du coma clinique un modèle totalement épuisé…et même dangereux. Le productivisme axé sur l’obsession d’une croissance qui ne reviendra pas est tout simplement criminel. Il tue au lieu d’épanouir. Il dévore au lieu de partager. Pour ma part, je suis certain qu’il faut remettre en friche l’imaginaire national totalement en panne : la République métissée qui est une réussite mais qu’on ne montre jamais ; la souveraineté des peuples confisquée aujourd’hui par la technocratie et les marchés ; un projet européen centré sur la coopération et l’intégration entre les pays qui ont choisi monnaie commune et avec la duplicité de certains de ses membres ; la coopération internationale pour le partage des connaissances et des inventions humaines …

    Le fil de cette reconquête, j’en suis convaincu, c’est la démocratie. Le pouvoir de décider s’est déplacé du peuple vers des puissances illégitimes, cupides et sans objet humain. Il faut reprendre le pouvoir. Mais il faut le réinventer aussi : la délégation ne suffit plus : le contrôle des pouvoirs autant que la confiance dûe aux citoyens doit guider la refondation démocratique devenue indispensable. Les parlementaires initiateurs de l’appel des cent ont mis cette question démocratique au cœur : 5ème République ou pas, il revient de mettre chaque pouvoir à sa place. Le nôtre est de faire la Loi et non de se la faire dicter. Cette approche, qui est une révolution culturelle française ne fait que commencer. Elle portera, elle aussi, une dynamique féconde. Au service de l’intérêt général, fondé sur l’égalité. Celle-là même qui s’efface du tableau de l’Histoire de France…

    Pouria Amirshahi

     

  • IL FAUT RAMENER SA FRAISE

     

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    Non seulement les fraises importées d’Espagne n’ont aucun goût, mais elles représentent une catastrophe environnementale et sanitaire. Voici de quoi vous en dégoûter à tout jamais…

    D’ici à la mi-juin, la France aura importé d’Espagne plus de 90 000 tonnes de fraises. Enfin, si on peut appeler fraise ces gros trucs rouges, encore verts autour de la queue parce que cueillis avant d’être murs, et ressemblant à des tomates ; avec d’ailleurs à peu près le goût des tomates.

     

    Si le seul reproche envers ces « fruits » était leur fadeur, après tout, seuls les consommateurs piégés pourraient se plaindre d’avoir acheté un produit qui se brade actuellement entre 2 et 3 euros/kilo dans les marchés et les grandes surfaces, après avoir parcouru 1 500 kilomètres en camion.A dix tonnes en moyenne par véhicule, ils sont 10 000 par an à faire un parcours valant son pesant de fraises en CO2 et autres gaz d’échappement. Car la quasi-totalité de ces fruits poussent dans le sud de l’Andalousie, sur les limites du parc national de Doñana, près du delta du Guadalquivir, l’une des plus fabuleuses réserves d’oiseaux, migrateurs et nicheurs d’Europe.

    Cette « agriculture » couvre près de 6 000 hectares dont une bonne centaine empiète déjà en toute illégalité (tolérée) sur le parc national. Officiellement, 60 % seulement de ces cultures sont autorisées ; les autres sont des extensions « sauvages » sur lesquelles le pouvoir régional ferme les yeux en dépit des protestations des écologistes. Les fraisiers destinés à cette production, bien qu’il s’agisse d’une plante vivace productive plusieurs années, sont détruits chaque année. Pour donner des fraises hors saison, les plants produits in vitro sont enfournés en plein été dans des frigos qui simulent l’hiver pour avancer leur production. A l’automne, la terre sableuse est nettoyée, stérilisée, la microfaune détruite, avec du bromure de méthyl et de la chloropicrine. Le premier est un poison violent interdit par le protocole de Montréal sur les gaz attaquant la couche d’ozone signée en 1987 (dernier délai en 2005) ; le second, composé de chlore et d’ammoniaque est aussi un poison…

    Qui s’en soucie ? La plupart des producteurs de fraises andalouses emploient une main d’œuvre marocaine ou roumaine, des saisonniers ou des sans-papiers sous-payés et logés dans des conditions précaires, se réchauffant le soir en brûlant les résidus des serres en plastique qui recouvrent les fraisiers au cœur de l’hiver. Un écolo de la région raconte l’explosion des maladies pulmonaires et de affections de la peau. Les plants poussent sur un autre plastique noir et reçoivent une irrigation goutte à goutte qui transporte les engrais, des pesticides et des fongicides. Pour le lecteur dont l’appétit ne serait pas encore coupé, continuons.

    Les cultures sont alimentées en eau par des forages dont la moitié a été installés de façon illégale et dont 80 % tirent plus d’eau qu’ils ne sont autorisés à le faire : en moyenne 4500 m3 par hectare. Ce qui transforme en savane sèche une partie de cette région d’Andalousie, entraîne l’exode des oiseaux migrateurs et la disparition des derniers lynx pardel, petits carnivores dont il ne reste plus qu’une trentaine d’individus dans la région. Leur seule nourriture, les lapins, sont en voie de disparition. Comme la forêt, dont 2 000 hectares ont été rasés pour faire place aux fraisiers. La saison est terminée au début du mois de juin. Les cinq mille tonnes de plastiques, le noir et le blanc, sont soit emportés par le vent, soit enfouies n’importe où, soit brûlées sur place. Et les ouvriers agricoles sont priés soit de retourner chez eux, soit de s’exiler ailleurs en Espagne. Pour se faire soigner à leurs frais après avoir respiré les produits nocifs.

    La production et l’exportation de la fraise espagnole -l’essentiel étant vendu avant la fin de l’hiver et en avril- représente ce qu’il y a de moins durable comme agriculture et bouleverse ce qui reste dans le public comme notion de saison. Quand la région sera ravagée et la production trop onéreuse, elle sera transférée au Maroc où les industriels espagnols de la « fraise » commencent à s’installer. Avant de venir de Chine d’où sont déjà importés des pommes encore plus traités que les pommes françaises.

    Dommage que les consommateurs se laissent prendre, comme ils se laissent prendre aux asperges « primeur » en provenance de la même région et bénéficiant des mêmes soins chimiques. Au lieu d’attendre quelques semaines que les producteurs de proximité offrent les mêmes produits sur des marchés de proximité.

     

  • A NE PLUS RIEN Y COMPRENDRE

     

    Un petit parti bourgeois sans ambitions." Lutte Ouvrière se paye le Parti de Gauche dans son bimestriel Lutte de Classe, publié le 8 mai 2014 sur le site de la formation politique.

    En six pages, la revue trotskyste égratigne en long et en large le parti cofondé par Jean-Luc Mélenchon, raillant sa volonté d'incarner "l'opposition de gauche." Pour les auteurs du texte, le parti serait plutôt à rapprocher du... PS:

    Les chats ne font pas des chiens, et le PG est bien un petit parti bourgeois qui, à coups d’alliances et de coalitions avec d’autres courants bourgeois, cherche à se frayer une voie vers le pouvoir gouvernemental. Un parti de même nature sociale que le PS, mais qui compte sur le discrédit accéléré du PS, ainsi que sur son positionnement qu’il veut plus à gauche, pour y parvenir à son tour.

    Mais c'est surtout la campagne du parti de Gauche pour les élections européennes qui cristallise les critiques de Lutte Ouvrière. Le parti qui a fait de la lutte contre l'austérité en Europe une de ses priorités se voit accuser d'entretenir une rhétorique anti-allemande:

    En adoptant un ton nettement anti-allemand, le PG a choisi d’entonner les trompettes nationalistes parce qu’il pense que c’est électoralement porteur. Il se met de fait sur le même terrain que le FN (...) En faisant cela, ces politiciens, qui se disent de gauche, cautionnent auprès des travailleurs et des militants ouvriers et syndicalistes, des idées nauséabondes qui portent la division et les orientent vers des impasses.

    Et de poursuivre:

    Le PG a donc choisi de développer sa propre argumentation xénophobe et nationaliste.

    En tant que leader du parti, Jean-Luc Mélenchon n'est évidemment pas épargné:

    Au sein du PS, il fut surtout un soutien des autres : après Mitterrand, ce furent Dray, Emmanuelli, et finalement Fabius. La place qu’il occupait dans le parti était en fait marginale et ne devait pas le satisfaire.
  • NON AUX EOLIENNES

    La problématique des éoliennes ne laisse décidément personne indifférent en Thiérache. Pour preuve, les citoyens d’Any-Martin-Rieux et ses alentours se sont réunis à la salle des fêtes, vendredi soir, pour s’opposer à un possible projet d’implantations de 12 éoliennes à Any, Leuze et Martigny. Cette réunion faisait suite à la récente annonce de Quadran, une société de production d’énergie verte venue présenter son projet.

    « Certaines choses ne sont pas claires sur l’implantation des éoliennes, estime la citoyenne Stéphanie Simmer. L’objectif de cette soirée est de créer un collectif et d’informer la population. » L’assemblée a réuni quelques dizaines de personnes. C’est Alban Simmer qui a ouvert la réunion : « Les permis de construire n’ont pas encore été déposés. On a appris ce projet par hasard. C’est le moment d’agir. Si on veut, on peut », a-t-il martelé. Guy Froissart, président de l’association Thiérache à contre vent, a pris la suite : « Il faut se constituer en association pour les recours, ne pas rester à des protestations individuelles. Il faut beaucoup d’énergie pour constituer les documents et faire une contre-enquête. Plus on est nombreux mieux c’est. »

    Mais au juste, qu’est-ce qui est si gênant dans ce projet d’implantation ? « Cela cause des nuisances sonores, et quant à l’immobilier, les maisons sont dévaluées », expose Valérie Bernardeau, la propriétaire du château de Puisieux-et-Clanlieu qui a réussi à obtenir l’annulation d’un permis de construire du côté de Sains-Richaumont.

    « Cela fait augmenter le montant des factures d’électricité »

    Jean-Marie Desachy, venu de Lamaronde, dans la Somme, est confronté au même problème dans sa région. C’est dans un discours passionné qu’il s’élève contre le projet : « C’est un immense mensonge ! Au début, les pales de l’éolienne sont plutôt silencieuses, mais après, elles font de plus en plus de bruit », veut-il témoigner. Il soulève des problématiques environnementales : « C’est nuisible pour les chauves-souris : elles sont attirées par la chaleur du moteur, et meurent. De plus, dire que la consommation électrique baisse avec les éoliennes est inexact. L’éolien ne sert qu’à faire du business ! » Valérie Bernardeau renchérit : « Le montant des factures d’électricité augmente avec les éoliennes. »

    Jean-Louis Doucy, président de l’association Vent de folie, a apporté un éclairage plus technique : « L’éolien, c’est une bulle spéculative qui finira par exploser. Les propriétaires des terrains signent des baux emphytéotiques. Ils deviennent donc propriétaire de ce qu’il y a sur le terrain. Démanteler une éolienne revient cher. Une éolienne coûte 1 200 000 à 1 500 000 euros ! détaille-t-il. On nous dit que grâce à l’énergie éolienne, on pourra arrêter avec les centrales nucléaires. Mais en France, notre production d’électricité est à 90 % d’origine nucléaire. Les énergies éolienne et solaire représentent 2 ou 3 % de la production électrique. Ce n’est rien ! L’éolienne ne peut intervenir que sur 10 % de l’électricité d’origine conventionnelle. Et elle ne fonctionne qu’avec le vent… Sa production est très faible, et imprévisible. Ce ne peut pas être une alternative. C’est une fausse réponse à un vrai problème. »

    Les habitants comptent donc créer une association, et ce soir-là, il a même été question d’une manifestation. Affaire à suivre…

    Kévin MONFILS l'Union l'Ardennais

  • ET LA LAICITE B.............

    Monsieur le Ministre,

     

    Nous savons tous les deux ce que peut être la stigmatisation par un régime dictatorial de ceux qui ne partagent pas la croyance imposée ou privilégiée par le pouvoir. Dans l’Espagne de Franco, que nos deux familles ont fui, le national-catholicisme régnait. La coalition des trois fascismes (Hitler, Mussolini, Franco) ...avait brisé la République Espagnole, livrant le peuple à des décennies de violence sourde ou avouée, après avoir écrasé les républicains sous des bombes qui bientôt ensanglanteraient le monde entier. Lors de la retirada, pendant l’hiver de 1939 l’armée républicaine a franchi la frontière de nos deux pays. Antonio Machado mourut aussitôt. Il repose à Collioure, sa stèle recouverte du drapeau républicain, violet, jaune, rouge. Parqués à Gurs comme à Argelès, les soldats qui pourtant venaient de livrer le premier combat antifasciste furent très mal accueillis. Cela n’empêcha pas nombre de combattants républicains espagnols de reprendre les armes, en France, contre les occupants. Celestino Alfonso, comme bien d’autres, mourut sous les balles nazies, et l’on voit son portrait défiguré dans l’Affiche Rouge.

     

    Vint alors le temps des émigrations politiques au économiques. En France, nos familles, comme celle d’Anne Hidalgo, goûtèrent l’air de la liberté, et de la laïcité. Sans perdre la mémoire de nos origines, nous nous découvrîmes enfants de la République Française, si bien incarnée par Marianne, qui porte le bonnet phrygien de l’esclave affranchi. La patrie, redéfinie par la Révolution française, c’est la communauté de droit qui tisse entre tous une fraternité construite sur la liberté et l’égalité. Merci à la France qui ne nous demanda pas de faire allégeance à un quelconque particularisme religieux pour nous « intégrer », comme on dit. Valls, Hidalgo, Pena-Ruiz…nos patronymes allaient se fondre dans ce beau creuset français qui s’ouvre à l’universel en une terre particulière.

     

    Certes, tout n’était pas idyllique, et l’injustice sociale semblait souvent démentir les idéaux politiques. Nous aimions la République, mais nous la voulions sociale en même temps que laïque. Nous fîmes le choix de nous engager en ce sens. Toute victoire serait alors non celle d’un peuple, mais d’une justice sociale sans frontières. Laïcité, justice sociale…Jaurès avait déjà défini les deux fondements d’une République où il fait bon vivre. Et son patriotisme internationaliste, qui lui coûta la vie, avait laissé un sillage de lumière dans les consciences. Laïque, la République confère les mêmes droits aux athées et aux divers croyants. Sociale, elle rend crédible sa superbe devise.

     

    Vous voilà premier ministre de cette République. Pour ma part, j’ai consacré ma vie à l’instruction publique et laïque, vecteur d’émancipation pour ceux qui n’ont que l’Ecole pour devenir tout ce qu’ils peuvent être. Nous nous accordons, n’est-ce pas, sur un tel idéal. D’ailleurs nous étions ensemble pour défendre la crèche Babyloup qui s'est voulue laïque afin d'accueillir les enfants de 50 nationalités sans faire violence à aucune famille. Alors, sans polémique, j’entends vous dire mon désarroi devant votre décision de représenter la France, ès qualité, dans l’exercice de vos fonctions, pour la canonisation de deux papes. Il n’y aurait évidemment aucun problème si vous vous rendiez à Rome à titre privé, en ne représentant que vous-même. En république laïque la religion est libre, mais elle ne doit engager que les croyants et eux seuls. De même l’athéisme n’engage que les athées, et eux seuls. L’égalité des droits est ici en jeu, et la déontologie qu’elle inspire se fonde sur le souci d’universalité. Or en France il y a des athées et des agnostiques en grand nombre, et tout acte officiel de la puissance publique se doit de les représenter à égalité avec les divers croyants. D’où la neutralité, qui n’a rien d’antireligieux, mais qui tient bon sur la distinction privé/ public.

     

    Vous admirez Clémenceau. Je l’admire aussi, comme grand républicain laïque et anticolonialiste. Or en 1918 votre homologue prit une décision laïque exemplaire. La voici. Le 11 novembre 1918, l'archevêque de Paris invite Georges Clémenceau, alors Président du Conseil, au Te Deum prévu à Notre Dame de Paris, en hommage à tous les morts de la guerre qui vient de s'achever. Clémenceau dissuade le président de la République, Raymond Poincaré, de s’y rendre, et il répond par un communiqué officiel qui fera date :

    "Suite à la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, le gouvernement n'assistera pas au Te Deum donné à Notre Dame. Mmes Poincaré (femme du président de la République) et Deschanel (femme du président de la chambre des députés) n'étant pas membres du gouvernement pourront par contre y assister "

     

    Voilà une jurisprudence laïque à laquelle Benito Juarez, futur Président de la République Mexicaine, avait donné ses lettres de noblesse en 1855, lors de son entrée en fonction en tant que gouverneur de l'Etat d'Oaxaca.Tout nouveau gouverneur avait alors coutume d’assister à un TeDeum qui conférait à l’autorité religieuse le privilège d’introniser l’autorité civile. Juarez mit un terme à cette pratique en des termes limpides :

    « Je pris la décision de ne pas assister au Te Deum, en raison de ma conviction selon laquelle les autorités politiques de la société civile ne doivent assister en tant que telles à aucune cérémonie religieuse, alors qu’en tant qu’individus ils peuvent se rendre aux lieux de culte pour y pratiquer les actes de dévotion que leur dicte leur religion. »

    Certes, les circonstances humaines les plus bouleversantes ont besoin de cérémonial. Mais en République, ce besoin symbolique essentiel doit être tel que tous les citoyens et citoyennes puissent s’y reconnaître. Le précédent mexicain montre que la laïcité ne se limite pas à la France.

     

    Un dernier mot. Professeur de philosophie dans l’enseignement public, j’ai toujours trouvé normal de ne jamais laisser paraître mon type de conviction personnelle dans l’exercice de mes fonctions. La République me confiait ses enfants afin que j’en fasse des élèves, et je me devais de promouvoir leur seule autonomie de jugement, sans prosélytisme aucun. Qu’auraient dit des parents d’élèves si j’en avais usé autrement ? Quand Nicolas Sarkozy a eu l’audace, dans le Discours de Latran, de placer le prêtre au-dessus de l’instituteur, j’ai rédigé un article pour lui rappeler l’ineptie d’une telle hiérarchisation. Car l’instituteur ne vise que la liberté de l’élève, telle que la fonde la culture, et refuse toute inculcation. C’est cela la grandeur de l’école laïque, ce lieu où l’élève apprend ce qu’il ignore pour pouvoir un jour se passer de maître.

     

    Je ne doute pas, Monsieur le Ministre, que nous puissions nous rejoindre sur un si bel idéal.

     

    Henri Pena Ruiz

     

    Paru dans Libération le 29 avril 1014

     

  • ART OU CULTURE

    De l’éducation populaire à la domestication par la «culture»

    Il y a cinquante ans, le général de Gaulle présidait à la création du ministère des affaires culturelles. La naissance de cette institution a précipité le déclin d’un autre projet, à présent méconnu : l’éducation politique des jeunes adultes, conçue dans l’immédiat après-guerre comme un outil d’émancipation humaine. Pour ses initiateurs, culture devait rimer avec égalité et universalité.

    par Franck Lepage, mai 2009

    En France, quand on prononce le mot «culture», chacun comprend «art» et plus précisément «art contemporain». Le mot Culture, avec son singulier et sa majuscule, suscite une religiosité appuyée sur ce nouveau sacré, l’art, essence supérieure incarnée par quelques individus eux-mêmes touchés par une grâce — les «vrais» artistes. La population, elle, est invitée à contempler le mystère.

    Entamée dès les années 1960 sous l’égide du ministère des affaires culturelles, la réduction de la culture à l’art représente une catastrophe intellectuelle pour tout homme ou toute femme de progrès. Si «culture» ne veut plus dire qu’«art», alors ni l’action syndicale, ni les luttes des minorités, ni le féminisme, ni l’histoire, ni les métiers, ni la paysannerie, ni l’explication économique, etc., ne font plus partie de la culture. Entre cette dernière et la politique s’instaure un rapport d’exclusion. Et la gauche a un problème. Tel n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps — pas si éloigné — où un petit groupe de militants nichés au cœur des institutions françaises tentait de faire rimer culture — populaire — et politique.

    En 1944, un paquebot fait route tous feux éteints vers la France. A son bord, une jeune femme. Cinquante ans plus tard, elle se rappelle : «Ma prise de conscience date de 1942 et de la promulgation des lois antijuives par l’Etat français. J’étais alors professeure de lettres au lycée de jeunes filles d’Oran, en Algérie. J’ai été totalement choquée par la tranquillité avec laquelle ces lois antisémites ont été acceptées et mises en œuvre par mes collègues.» La vénérable dame de 86 ans qui nous livre ses souvenirs, ce jour de 1994, se nomme Christiane Faure. Elle repose désormais au cimetière de Lourmarin (Vaucluse) à côté de sa sœur et de son beau-frère, Albert Camus.

    Elle raconte comment les noms juifs sont rayés à l’encre rouge; comment ses élèves quittent l’établissement, leur blouse sous le bras. Mlle Faure organise alors des cours clandestins de préparation au baccalauréat. L’affaire s’ébruite; on la menace; elle persiste. Après le débarquement d’Algérie en novembre 1942, l’enseignante intègre le Gouvernement provisoire d’Alger dans le «service des colonies», dirigé par René Capitant, ministre de l’éducation nationale. Ce dernier est chargé de remettre les textes officiels sur leurs pieds républicains. En 1944, Mlle Faure regagne la France avec le Gouvernement provisoire.

    « Capitant nous a réunis pour nous annoncer que Jean Guéhenno créait un service d’éducation des adultes — un “bureau de l’éducation populaire” — et a demandé qui voulait s’en charger. J’ai levé la main à la surprise générale.» Dégoûtée de l’éducation nationale, Mlle Faure ne veut plus enseigner aux enfants. «La “laïcité” [à prendre ici au sens de «neutralité politique»] imposée aux enseignants ne me convenait plus. Elle empêchait toute explication franche, directe, c’est-à-dire politique, avec la jeunesse. La laïcité devenait une religion qui isolait comme les autres. Dans un cadre d’éducation des adultes, il me semblait qu’on pourrait dire tout ce qu’on voudrait. D’où mon choix pour l’éducation populaire : cadre neuf, cadre libre, où pourrait se développer l’esprit critique.» Guéhenno en est le garant. Ouvrier devenu professeur à Louis-le-Grand puis écrivain à force d’étudier, ce résistant conçoit sa mission comme un sacerdoce. Il s’agit «d’élever au plan de l’enseignement ce qui était livré aux propagandes, la formation des citoyens». (Le Figaro, 2 mai 1952.)

    «En vain toutes les chaînes
    auraient été brisées»

    A la Libération, les horreurs de la seconde guerre mondiale ont remis au goût du jour cette idée simple : la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et s’enseigne. Pour être durable, elle doit être choisie; il faut donc que chacun puisse y réfléchir. L’instruction scolaire des enfants n’y suffit pas. Les années 1930 en Allemagne et la collaboration en France ont démontré que l’on pouvait être parfaitement instruit et parfaitement nazi. Le ministère de l’éducation nationale convient donc qu’il incombe à la République d’ajouter un volet à l’instruction publique : une éducation politique des jeunes adultes.

    Les conventionnels de 1792 l’avaient déjà compris : se contenter d’instruire des enfants créerait une société dans laquelle les inégalités seraient fondées sur les savoirs. « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, tonne le marquis de Condorcet à la tribune de l’Assemblée nationale, le 20 avril 1792.Le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.» Le député de l’Aisne, à qui l’on attribue généralement la paternité de l’expression «éducation populaire», propose de poursuivre l’instruction des citoyens «pendant toute la durée de la vie». Mais cela ne saurait suffire. Quand Condorcet évoque (déjà!) cette «partie de l’espèce humaine» astreinte dans les «manufactures» à «un travail purement mécanique» et pointe la nécessité pour ces individus de «s’élever», de «connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs», il ne s’agit plus seulement d’instruction mais d’éducation politique.

    Ces deux dimensions, pas toujours conciliables, fondent l’ambiguïté de l’«éducation populaire». Pour les classes moyennes à l’origine des mouvements laïques tels que la Ligue de l’enseignement (1881), il s’agit d’éduquer le peuple en appoint de l’école ou de pallier l’absence de celle-ci. Une seconde acception renvoie à toute forme d’éducation émancipatrice dont la forme serait populaire. Elle revendique l’héritage des expériences d’éducation critique et politique qui traversent le mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle (syndicalisme révolutionnaire, bourses du travail).

    A bord du navire qui vogue sans phares vers la France, Mlle Faure songeait plutôt à la seconde... Ainsi après Auschwitz — à cause d’Auschwitz —, on envisage à nouveau l’éducation politique des jeunes adultes. Mlle Faure et Guéhenno recrutent des professionnels de la culture populaire issus du théâtre (Hubert Gignoux, Henri Cordreaux, Charles Antonetti, Jean Rouvet...), de la radio (Pierre Schaeffer), du cinéma, de la photographie, du livre (Jean Nazet), des arts plastiques ou de la danse, de l’ethnologie, etc. Leur mission : inventer les conditions d’une éducation critique des jeunes adultes par les moyens de la culture populaire, ou encore «susciter par la réflexion et la pratique une attitude propice à l’éducation des adultes (1)».

    En 1944 naît au sein de l’éducation nationale une direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse, vite rebaptisée direction de l’éducation populaire et des mouvements de jeunesse. «Jeunesse» ne signifie pas encore «adolescence» — ce sens apparaîtra dans les années 1960 : un «jeune», en 1945, est un adulte de 21 ans (2). Parallèlement est instituée une direction des arts et lettres. Jeanne Laurent, ancienne résistante, s’y emploiera à décentraliser le théâtre. Interrogée sur leurs rapports, Mlle Faure souligne à quel point les deux problématiques étaient différentes : «Jeanne Laurent, c’était les beaux-arts... Nous, c’était la culture, la démocratie.» Une distinction appelée à s’effacer...

    La petite administration de l’éducation populaire durera moins de quatre ans. Après le début de la guerre froide, la lutte entre gaullistes et communistes s’envenime. L’éducation des jeunes adultes constitue vraisemblablement un enjeu tel qu’aucun des deux protagonistes ne veut risquer que l’autre la contrôle. En 1948, on s’accorde sur sa fusion, «pour mesure d’économie publique», avec la direction de l’éducation physique et des activités sportives dans une impayable «direction générale de la jeunesse et des sports», matrice du ministère souvent confié depuis à de non moins impayables sportifs (M. Bernard Laporte), généralement ignorants des questions d’éducation populaire (3). En d’autres termes : il n’y aura pas de service public d’éducation démocratique, critique ou politique des jeunes adultes en France. Ils feront plutôt du kayak! Guéhenno démissionne, Mlle Faure retourne en Algérie diriger un service d’éducation populaire non rattaché au sport.

    Les affaires culturelles
    victimes d’une roulette russe

    Pourtant, une impulsion a été donnée. Dès les années 1950, les instructeurs d’éducation populaire recrutés par Mlle Faure rêvent de quitter le sport, dont ils n’ont que faire, et imaginent la création de leur propre ministère. Leur sous-directeur, Robert Brichet, esquissera même en 1956 le projet d’un «ministère des arts». Pour cela, il faut acclimater le concept de «ministère de la culture», expérimenté par des pays totalitaires, pour en faire un ministère de la culture démocratique. Un ministère de l’éducation populaire en somme. Qui nommer à sa tête? Du côté des instructeurs, on pense au philosophe Camus, directeur d’une maison de la culture à Alger, fondateur du théâtre du travail et adepte de la création collective contre la création individuelle.

    L’histoire en décidera autrement. Parvenu au pouvoir, le général de Gaulle veut récompenser la fidélité d’André Malraux, ministre de l’information sous la IVe République et directeur de la propagande du Rassemblement du peuple français (RPF), fondé par le général en avril 1947. Débute alors une sorte de roulette russe institutionnelle dont l’éducation populaire sortira perdante. En 1959, le président de la République demande au chef du gouvernement, Michel Debré, de trouver un ministère pour son chantre officiel. Malraux demande un grand ministère de la jeunesse, domaine encore très sensible après Vichy; on le lui refuse. Il réclame la recherche sans plus de succès. Puis il demande la télévision et essuie un troisième refus. Se souvenant du projet de «ministère des arts», Debré lui propose en désespoir de cause un ministère des affaires culturelles. Malraux accepte (4). On y rassemble le cinéma, les arts et lettres, l’éducation populaire et ses instructeurs nationaux. Le directeur du cabinet de Malraux, Pierre Moinot, ami de Mlle Faure, lui fait savoir la bonne nouvelle et l’invite à les rejoindre.

    Contrairement à une idée reçue, l’auteur de La Condition humaine n’a pas «créé» ce ministère, qu’il n’a au demeurant pas réclamé. Son administration est bâtie par des fonctionnaires rapatriés de l’outre-mer qui, après la décolonisation, sont affectés aux affaires culturelles (5). Efficaces mais idéologiquement marqués par leur expérience précédente, ils influencent la doctrine du ministère. Lequel aura vocation à irradier à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières le feu de la grandeur nationale. Puissance de la France à l’international et pouvoir symbolique de l’Etat dans les régions; apologie de l’élite et du génie français. Un ministère profondément antipopulaire.

    Les instructeurs d’éducation populaire qui pensaient avoir obtenu leur ministère ont perdu la partie. D’abord rattachée à Malraux en même temps que la direction des beaux-arts, la sous-direction de l’éducation populaire retourne définitivement à la jeunesse et aux sports (6). La coupure sera désormais établie entre culturel et socioculturel, entre «vraie» et «fausse» culture que seul l’Etat sera fondé à départager. Beaucoup attendaient que la gauche arrivant au pouvoir abolisse cette césure. Il n’en fut rien.

    Cette histoire-là est plus connue : loin de rompre avec la vision élitiste et de reformuler la question culturelle sur des bases progressistes (tout le monde est producteur de culture, celle-ci n’étant rien d’autre qu’un rapport social), la gauche des années 1980 propulse la figure de l’artiste à des hauteurs jusque-là inconnues. Après le tournant libéral de 1983, la Culture majuscule réduite aux beaux-arts devient l’étendard d’un Parti socialiste qui, sur le plan économique, ne se distingue plus guère dès lors qu’il se résigne à faire le «sale boulot» de la droite. Mieux : l’action culturelle se substitue à l’action politique, comme l’illustre la commémoration du bicentenaire de la Révolution, le 14 juillet 1989.

    Mis en scène par le publicitaire Jean-Paul Goude, le défilé intitulé «les tribus planétaires» présente chaque peuple non par un symbole de ses conquêtes politiques, de sa quête d’émancipation ou de la domination qu’il subit, mais par son signe «culturel» le plus anecdotique et le plus stéréotypique : les Africains nus avec des tam-tams, les Anglais sous la pluie, etc. Fin de la Révolution. Fin de la Politique. Fin de l’Histoire. Vive la Culture.

    Rendre lisibles à tous
    les antagonismes sociaux

    Ce type de «culture» a remplacé la politique parce que la fonction du «culturel» est précisément de tuer le politique (7). Dépolitisée, réduite à l’esthétique, une culture n’est ni meilleure ni pire qu’une autre culture : elle est «différente». Le politique est l’affirmation d’un jugement de valeur. Le «culturel» est son anéantissement et la mise en équivalence généralisée sous l’empire du signe. La condamnation des violences faites aux femmes — l’excision, par exemple — est un geste «politique» : elle affirme qu’une société qui décrète l’égalité des hommes et des femmes est une société meilleure qu’une société qui ne la décrète pas. La tolérance de l’excision est en revanche «culturelle» : elle revendique la reconnaissance d’une culture qu’une autre culture ne peut juger de l’«extérieur».

    Il y a désormais en France une culture officielle, une esthétique certifiée conforme, celle des scènes nationales de théâtre, par exemple, aux mises en scène interchangeables. Elle vise paradoxalement à manifester en tous lieux la liberté d’expression, pour peu que celle-ci ne désigne aucun rapport social réel, n’entraîne aucune conséquence fâcheuse et soit littéralement sans objet. Provocations adolescentes, esthétique ludico-décadente, citations ironiques (8)... On s’y ennuie ferme, mais on y applaudit fort! En même temps qu’il dépolitise, l’entretien du culte de la «culture» contribue à domestiquer les classes moyennes cultivées en réaffirmant la frontière qui les sépare des classes populaires.

    Ainsi du visiteur qui, au milieu des années 1990, pénétrait dans telle Maison de la culture du Nord pour y découvrir une interminable rangée de bidons remplis d’eau alignés contre un mur et surmontés d’une petite photographie indiquant la provenance du liquide. Face à l’«œuvre», trois attitudes fréquentes. Un familier de l’art contemporain disposant des outils culturels adéquats pourra admirer le «dispositif». Un profane dépossédé de ces ressources se révoltera contre une «supercherie», se dira qu’il peut en faire autant, maudira tous les artistes et éprouvera un sentiment d’infériorité sociale. Entre les deux, le visiteur imprégné de «bonne volonté culturelle» se convaincra qu’il y a là une «démarche», une «intention», quelque chose de supérieur qu’il convient d’apprécier — acquiescement soumis qui signe son appartenance aux classes moyennes cultivées.

    Pareille imposition n’est pas sans conséquence, surtout en ces moments de crise économique où le basculement des classes moyennes du côté des classes populaires plutôt que vers les dominants représente un enjeu politique important. Le dressage «culturel» sert cette deuxième option. C’est pourquoi un programme réellement de gauche devrait se démarquer du concept de culture pour soutenir celui d’éducation populaire.

    Les fédérations labellisées «d’éducation populaire» en sont loin (9). Embrigadées dès le début des années 1980 dans les innombrables dispositifs de traitement social des populations dites «en difficulté», combien d’entre elles administrent, en échange de subventions, des programmes de «mobilité des jeunes», d’«éducation tout au long de la vie», de «défi-jeunes» et autres apprentissages de la flexibilité et de l’esprit d’entreprise, pendant que d’autres, engagées dans la «politique de la ville», œuvrent à l’«insertion» des classes populaires à coups de «développement local», de «développement culturel» et d’«animation socioculturelle» (10)?

    En 2002, l’Association pour la taxation des transactions pour l’aide aux citoyens (Attac), fondée quatre ans plus tôt, obtenait son agrément en tant qu’association nationale de jeunesse et d’éducation populaire. Et, soudain, un contraste apparaissait : si Attac fait de l’éducation populaire en informant sur l’économie, en expliquant les inégalités et en proposant des moyens d’y remédier, alors que font les autres?

    On peut ainsi distinguer deux conceptions de l’action par la culture : l’«action culturelle», qui vise à rassembler autour de valeurs «universelles», consensuelles (l’art, la citoyenneté, la diversité, le respect, etc.). Et l’éducation populaire, qui vise à rendre lisibles aux yeux du plus grand nombre les rapports de domination, les antagonismes sociaux, les rouages de l’exploitation (11). La crise économique pourrait bien dissiper les mirages de l’une et remettre l’autre au goût du jour.

    Franck Lepage

    Ancien directeur du développement culturel à la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture. Auteur et interprète de la conférence théâtrale L’Education populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu..., 2007 (Le Cerisier, Cuesmes, Belgique), et membre de la coopérative d’éducation populaire Le Pavé.
    Selon la définition de Mlle Nicole Lefort des Ylouses, instructrice d’éducation populaire recrutée en 1944 par Mlle Faure.

    (2) L’âge de la majorité civile est passé de 21 ans à 18 ans en 1974.

    (3) A l’exception notable de M. Roger Bambuck, secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports de 1988 à 1991.

    (4) Philippe Urfalino, L’Invention de la politique culturelle, La Documentation française, Paris, 1996.

    (5) Marie-Ange Rauch, Le Bonheur d’entreprendre. Les administrateurs de la France d’outre-mer et la création du ministère des affaires culturelles, La Documentation française - ministère de la culture, Paris, 1998.

    (6) Françoise Tétard, «L’éducation populaire : l’histoire d’un rattachement manqué», dans Les Affaires culturelles au temps d’André Malraux, 1959-1969, Comité d’histoire du ministère de la culture, La Documentation française, Paris, 1996.

    (7) Alain Brossat. Le Grand Dégoût culturel, coll. «Non conforme», Seuil, Paris, 2008.

    (8) Jean-Paul Curnier, Manifeste, Léo Scheer, Paris, 2000.

    (9) Contrairement à la France, l’éducation populaire, politique et critique, prospère dans certains pays d’Amérique latine et demeure ancrée dans le mouvement social en Belgique ou au Québec.

    (10) Lire le «Dico de la langue de bois» sur le site Le pavé.

    (11) Cf. «Le travail de la culture dans la transformation sociale : une offre publique de réflexion du ministère de la jeunesse et des sports sur l’avenir de l’éducation populaire», La Documentation française, Paris, 2001.

  • VU DANS LA PRESSE

    La parole raciste s'est banalisée l'an dernier, notamment à l'égard des musulmans et des Roms, analyse un rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie publié mardi 1er avril.

    "Sur le long terme, le racisme en France diminue, le temps des ratonnades est révolu, mais le racisme qui se développe aujourd'hui est plus sournois et n'est plus réservé aux franges extrêmes. Il pénètre toutes les couches de la société", a commenté Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH).

    Les boucs émissaires aujourd'hui sont d'abord les Roms qui ont été stigmatisés, y compris par le gouvernement, et ensuite les musulmans arabes", a-t-elle précisé lors d'une conférence de presse.

    Preuve de ce "climat préoccupant", davantage de Français assument être racistes, selon un sondage de l'institut BVA pour la CNCDH auprès d'un échantillon représentatif de 1.026 adultes: 9% se disent "plutôt racistes" (+2 points par rapport à 2012) et 26% "un peu racistes" (+4 points).

    Ils sont aussi plus nombreux à considérer que l'intégration des immigrés fonctionne mal (63%, +7 points par rapport à 2012). L'islam est la religion la moins positivement connotée et 80% des sondés estiment que le port du voile pose problème pour vivre en société.

    Les Roms migrants pâtissent d'une image extrêmement négative: 85% des sondés pensent qu'ils exploitent très souvent les enfants (+10 points par rapport à 2012) et 78% qu'ils vivent essentiellement de vols et de trafics (+7 points).

    L'indice de tolérance, calculé à partir d'une série de questions posées aux sondés, recule pour la quatrième année consécutive.

    Ces résultats révèlent un "refus croissant de l'autre différent" mais dévoilent aussi une "défiance vis-à-vis d'un antiracisme perçu comme censeur". La présidente de la CNCDH note d'ailleurs que "les associations antiracistes ont beaucoup plus de peine à susciter du soutien".

    "Plus le niveau culturel est élevé, moins on est raciste"

    Les Français condamnent en revanche sans équivoque l'antisémitisme et "l'indice d'acceptation" des juifs "reste de très loin supérieur à celui de tous les autres groupes", selon une étude qualitative de l'institut CSA, qui a mené 30 entretiens semi directifs en face à face du 9 au 17 décembre 2013.

    85% des sondés estiment que les juifs sont des Français comme les autres (contre 65% pour les musulmans). Les clichés, comme la thèse d'un rapport particulier des juifs à l'argent, restent cependant très persistants et partagés, relève l'étude.

    Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, actes et menaces antisémites ont baissé de 31 points entre 2012 et 2013 et les actes antimusulmans ont progressé de 11 points. Mais ces chiffres ne dévoilent que l'"écume" des phénomènes, souligne la présidente de la CNCDH.

    Parmi ses recommandations, l'institution mise sur l'éducation et la formation, car "les sondages montrent que plus le niveau culturel est élevé, moins on est raciste", remarque Christine Lazerges.

    La CNCDH réitère son souhait de créer un observatoire du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie sur internet.

    Sa présidente "regrette" que ce rapport n'ait pu être remis au Premier ministre que le 1er avril, après les élections municipales, et non le 21 mars, Journée internationale de lutte contre le racisme, comme chaque année : "C'est une occasion ratée de parler de ces questions de société".

    Elle souligne aussi l'importance de montrer l'exemple au plus haut niveau :

    Dans un gouvernement de gauche, on attend un discours clair, net sur ces questions et pas ambigü comme on l'a eu sur les Roms."
  • VU SUR LE BLOG DE BERNARD DEVERT

     

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    Aux importantes mutations sociétales qui ne sont pas sans créer de l’inquiétude pour les personnes fragilisés, s’ajoutent les crises financières et économiques et, plus grave encore, une dévalorisation de la vérité pour être relativisée quand elle n’est pas bafouée.

    Qu’est-ce-que la vérité ? Réduite à un concept elle est facilement contournée, sauf si elle est entendue pour ce qu’elle est, la condition d’entrer dans des relations justes. Certes, d’aucuns considèrent qu’elle est pour un autre monde. Paul Eluard ne nous rappelle-t-il pas que s’il est un autre monde, il est dans celui-ci.

    La vérité se trouve moins qu’elle ne s’éprouve pour échapper à toute idée de possession. Source d’une création, elle ne se découvre qu’en s’éloignant de la démesure pour se laisser toucher par le fragile. Alors seulement, elle se propose à l’histoire de chacun.

    Le premier résultat des élections municipales de ce dimanche souligne une lassitude, quand ce n’est pas un écœurement des successives politiques qui ont laissé s’installer un abîme au point d’avoir oublié l’urgente nécessité de faire société.

    Les ruptures de la cohésion sociale ont suscité une sanction à commencer par celle d’une aggravation de la désaffection des urnes. Quelle attention a été portée à cette vérité objective que près de 15 millions des citoyens sont obligés de compter les quelques euros qui leur restent à la fin du mois. Quelle vigilance a été témoignée à ceux dont le reste pour vivre ne permet plus de se maintenir dans un logement social. Des territoires se sont senti abandonnés, exclus, notamment par un chômage massif des jeunes.

    Cette abstention ne serait-elle pas signe de la désillusion.

    Sans doute, l’endettement du Pays – qui est une faute collective, un mensonge largement partagé pour avoir joué la facilité en remettant à plus tard ses engagements – réduit les marges de manœuvre. La maturité des citoyens est plus forte qu’on ne le pense, mais pour ne pas l’avoir comprise, fut oubliée une parole claire suscitant un avenir. L’espoir déserte quand le mépris ou l’indifférence l’emporte sur le respect de la dignité qui est au cœur même de l’exigence de vérité.

    Dans ce contexte de crise les orientations partisanes furent plus fortes que la recherche d’un modus operandi pour endiguer la précarité et la pauvreté.

    La vérité ne s’inscrit que dans un discernement qui nécessite de regarder les faits tels qu’ils sont et non pas tels que nous voudrions qu’ils soient. Les lambris du pouvoir occultent la visibilité des fractures.

    Si le politique a pour mission de privilégier le bien commun en mettant à leur place des intérêts particuliers, il lui faut du courage, de l’audace et une exemplarité pour trouver une majorité consentant à accepter de quitter ce qui est injuste, pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.

    La politique est une diaconie ; elle est vécue, soyons justes, par de nombreux élus mais les « affaires » ont saccagé la confiance jusqu’à faire naître cette formule délétère répétée à l’envi : ‘tous les mêmes’. Le vers est alors dans le fruit.

    Le cynisme d’une minorité a entraîné des déviances au point que la promesse, au cœur même de la confiance, est difficilement habitée ; comment pourrait-il en être autrement quand on sait que de l’aveu de quelques puissants, elle n’engagerait que ceux qui l’écoutent.

    L’auteur de la Pesanteur et la Grâce, Simone Weil, dit que ‘les biens le plus précieux ne doivent pas être cherchés mais attendus car l’homme ne peut les trouver par ses propres forces et s’il se met à leur recherche il trouvera à la place de faux biens : ils sont là, privilégiant un individualisme et un mépris du réel, laissant les plus faibles au bord d’un chemin.

    Quel bien peut sortir de ces élections mettant en exergue la montée d’une extrême droite au risque d’une mise à mal de la ‘fraternité’ pour jouer sur le registre de la peur et de la stigmatisation de l’autre, de celui qui est différent.

    Le livre de l’humanité souligne que la vérité rend libre pour nous éveiller au souffle des grands espaces.

    Notre malheur ne serait-il pas que ce souffle épuisé devienne un soupir jusqu’à mettre sur les lèvres des jugements tout faits, justifiant ce désir inavoué d’un individualisme destructeur de la relation.

    Souvenons-nous de Dostoïevski : si l’on propose, dit-il, de choisir entre le bonheur et la liberté, le drame c’est que beaucoup choisiront le bonheur’.

    L’heure est de retrouver un souffle aux fins de s’éloigner de ces replis identitaires et suicidaires qui se présentent précisément comme des ‘petits bonheurs’ sans avenir et sans joie.

    Tout commence par la mystique, disait Péguy, tout finit par la politique. Sans doute entendait-il cette approche politicienne qui précisément déserte la recherche d’une vérité qui se conçoit comme un appel à prendre un chemin de crête ; les risques de l’emprunter sont réels mais à le déserter ils sont certains.

    Va vers ton risque, à te regarder, ils s‘habitueront dit Paul Eluard.

    Bernard Devert
    Mars 2014

  • HAIR C'EST ENCORE DEPENDRE

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    « C’est pour qui la banane ? C’est pour la guenon ! »... Peut-être un jour, quand ils auront grandi, les enfants qui ont crié cet infâme slogan au passage de Christiane Taubira à Angers le 25 octobre dernier liront le petit livre qu’il a inspiré à la Garde des Sceaux : « Paroles de liberté ».

    Peut-être ces enfants emmenés par leurs parents à un rassemblement de la Manif pour tous réaliseront-ils alors à quel point ils ont pu faire du mal, et surtout, à quel point ils s’inscrivaient dans un phénomène ancien qui empoisonne la vie des hommes : le racisme.

    On peut rêver...

    La « banane » d’Angers, le 25 octobre 2013

    Christiane Taubira ne passe pas 138 pages à parler de cet incident en particulier, ni même de la candidate du FN qui l’avait comparée à un singe, ni même encore à la une de Minute dans la même veine quelques jours plus tard.

    Tout au plus dit-elle de la « pauvre petite fille » que l’on voit joyeusement sautiller sur la vidéo d’Angers :

    « Que sera-t-elle préparée à comprendre du monde, et donc à comprendre d’elle-même, si des adultes, dont ses parents, parasitent encore longtemps l’innocence de son âge et y assèchent ces trésors de curiosité, de gourmandise pour l’autre, de goût pour l’inconnu qui, communément, l’habitent ? »

    « Haïr, c’est encore dépendre »

    La Garde des Sceaux inscrit plutôt cette série d’événements de l’automne dans son parcours personnel, et dans l’histoire plus vaste de la lutte contre le racisme. Elle en fait une arme de combat au lieu de s’en plaindre, plaçant en exergue une magnifique citation d’Aimé Césaire :

    « Haïr, c’est encore dépendre ».

    La native de Guyane a connu le racisme ordinaire à l’école, à l’université en métropole, dans la recherche d’appartements ou de petits boulots d’étudiante que seule la couleur de la peau distinguait des autres.

    Elle l’a reconnu lorsque, devenue femme politique, elle est reléguée au statut de « candidate des minorités » quand elle se présente à la Présidentielle de 2002, ou quand elle est invitée sur les plateaux de télévision en 2005, lors des émeutes de banlieue, « du seul fait de ma couleur », alors qu’elle n’a aucune expertise particulière.

    Elle l’a reconnu encore dans le célèbre discours de Dakar de Nicolas Sarkozy (et surtout d’Henri Guaino) en 2007 -« l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire“-, et encore deux ans plus tard dans son tristement célèbre discous de Grenoble sur les Roms.

    ‘Le paradoxe est que je suis persuadée que ce président d’alors n’est pas raciste. Rien dans ses propos personnels ni dans son attitude n’autorise à le penser. Pourtant, il va produire ou au moins émettre une parole publique qui valide le rejet, l’exclusion sur les mêmes mécanismes que le racisme : un jugement global, une perception essentialiste de l’homme -l’homme africain, les Roms-, une négation de l’individu, un renvoi à l’origine et à l’appartenance, un enfermement dans une catégorie conceptuelle ou ethnique, une assignation identitaire, toutes sentences qui, subséquemment, homologuent tous les clichés du seul fait de l’apparence’.

    Une description, qui, soit dit en passant, s’appliquent également aux propos de son collègue du gouvernement Manuel Valls sur les Roms au moment de l’affaire Léonarda l’an dernier. Mais ça, elle ne le dira pas, même si, sans doute, elle n’en pensa pas moins sur le coup.

    ‘Voilà pourquoi l’objet demeure le racisme et son éviction, à défaut de son impossible éradication ; mais le sujet, ce n’est plus moi. Le sujet, c’est tous ces sujets de droit, citoyens contestés dans leur appartenance ou soupçonnés d’appartenances déloyales, qu’il fait rétablir dans leurs droits et dans la plénitude de la citoyenneté. Ce sont eux qui sont exposés à des risques réels, eux qui peuvent se laisser happer par la désespérance ou les tentations nihilistes’.

    ‘Le nègre est une fiction éruptive et explosive’

    Le propos de Christiane Taubira va plus loin en effet que les attaques racistes dont elle a fait l’objet. Elle puise dans l’histoire, dans l’analyse de Frantz Fanon, le psychiatre antillais devenu militant anti-colonial en Algérie, ou d’Achille Mbembe, l’intellectuel camerounais qui vient de publier une ‘Critique de la raison nègre’ (La Découverte, 2013).

    Et avec eux, elle écrit :

    ‘Le nègre est une fiction éruptive et explosive, dont l’invention a produit de séculaires désintégrations et d’immémoriales convulsions’.

    Elle appelle en particulier à reprendre à l’extrême-droite le concept de ‘Nation’ qui, ‘à ses origines et dans ses intentions, est bel et bien une communauté de destin forgée par des citoyens qui se dotent d’institutions afin de rendre possible la vie civile. Elle postule l’égalité entre les citoyens et entreprend ainsi ce que la République explicitera bientôt’.

    ‘La Nation n’a donc vraiment rien à faire dans la besace des obscurantistes, des nostalgiques d’un temps morne et cacochyme qui n’a jamais eu d’existence que dans des esprits épouvantés par la vie qui va et s’acharne, avec délectation, à esquiver le lasso des ombrageux’.

    Elle appelle aussi à réhabiliter l’Europe, ‘contre elle et malgré elle’...

    Et, faisant écho indirectement à l’affaire Dieudonné et à ses soubresauts, la Garde des Sceaux appelle à croire en la France,

    ‘à un moment où, plus encore que par les difficultés économiques, la société française est travaillée par le doute existentiel, par une incertitude sur ses potentialités créatrices, par une incompréhension de son entour, par une oppressante irrésolution quant à son avenir, chacun doit entendre qu’il ne peut se réfugier dans n’importe quelle anse, certaines baies son envasées’...

    Un livre de combat, donc, pour une France qui resterait fidèle au serment du Jeu de paume du 20 juin 1789 quelle rappelle en conclusion :

    • ‘à la nation sans nationalisme ;
    • à l’Identité nationale sans xenophobie ;
    • à l’Individuation sans égoïsmes ;
    • à la République sans rigorismes ;
    • à la laïcité sans laïcisme’.

    A faire lire assurément à la gamine d’Angers, mais aussi à tous ceux qui doutent et qui errent dans les coins obscurs de la pensée politique. Et même à ceux qui ne doutent pas, mais n’ont plus toujours les ressorts suffisants pour dire ‘non’ à voix haute lorsqu’une ministre de la République est victime d’un racisme toujours aussi prégnant.

    MERCI RIVERAINS RUE89!
  • L'AFFICHE ROUGE

    Le 21 février 1944, vingt-deux combattants FTP-MOI sont fusillés au Mont Valérien, Olga Bancic, la seule femme du procès des vingt-trois, est décapitée le 10 mai de la même année en Allemagne. Joseph Epstein, arrêté en même temps que Missak Manouchian, sera fusillé après avoir été longuement torturé, le 11 avril 1944.

     

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    Il y a soixante-dix ans, une affiche est placardée sur les murs de Paris et dans les villes de France stigmatisant la Résistance avec le souci esthétique de présenter dix visages d’étrangers au service de « l’armée du crime », une bande de criminels à la solde de Moscou. Il s’agit de dénoncer avec éloquence le complot judéo-bolchevique. Cette mise en scène propagandiste très soignée, tant par sa composition que par les arguments qui sont retenus, se veut pédagogique, elle interpelle le passant, l’invite à cautionner l’entreprise mensongère, sans qu’aucun recul ne puisse édulcorer sa perception, le jugement est définitif : ladite résistance est le fait de hordes cosmopolites qu’il s’agit de réprimer, d’anéantir. Mensonge et abjection sont des pratiques courantes chez les nazis et leurs amis collaborateurs français, le perfectionnement de l’ignominie et de ce qu’il y a d’humainement vil fut une discipline que la Gestapo et la police française ont su parachever.

     

    Cette affiche de couleur rouge est bien plus qu’un simple avis de condamnation, d’exécution, elle est une tache de sang, mais de quel sang s’agit-il ? Dix visages d’hommes manifestement torturés, dix photographies figeant définitivement des suppliciés dans des cercles ; images saisies à la prison de Fresnes quelques heures avant l’exécution. À cela, s’ajoutent des photos représentant un dépôt d’armes, un déraillement de train, un corps criblé de balles. De toute évidence, il doit être admis que seuls le crime et la barbarie animent ces terroristes que nous ne tarderons pas à identifier comme étant les martyrs fusillés de l’Affiche rouge, les vingt-trois dudit « groupe Manouchian », ainsi qu’il fut nommé après la guerre.

     

    L’identification de l’Affiche rouge, comme singularité de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, nous impose de reconnaître comme événement tout aussi singulier la permanence de son empreinte dans l’imaginaire collectif, nous invite aussi à nous départir de toute mystification alimentant la légende. Cette identification est contrainte doublement, il y a le moment de son apparition sur les murs des villes en 1944, sa détermination purement propagandiste, et le moment de son intégration à l’histoire de la Résistance, intégration qui révèle la singularité dont nous voulons parler, à savoir, la dimension du combat émancipateur mené par ces combattants et qui dépasse de loin un simple acte de résistance, partant de là, nous ne minimisons aucunement « l’acte de résistance ». Si dans un premier temps l’accent est mis sur le cosmopolitisme de ces individus au service des agents juifs de Moscou, le déterminant judéo-bolchevisme, nous devons aussi nous saisir de la traduction qui est faite de l’événement « Affiche rouge » au lendemain de la Libération, précisément dans l’histoire de la Résistance et de sa singularité, la Résistance communiste. Force est de constater qu’il y eut une volonté politique de formater la Résistance en vertu de critères politiciens, à savoir la réconciliation nationale pour le moins mise à mal pendant les années d’épuration ; c’est avec et par le général de Gaulle que la Résistance est reconnue et glorifiée. Dans cette période de confusion mais aussi de réconciliation nationale, de reconstruction de l’identité républicaine, le parti communiste français, le « parti des fusillés » ainsi qu’il se définit encore aujourd’hui, va donner une idée tout autre de ce que fut la Résistance et précisément du rôle des étrangers dans cette Résistance ; la Résistance doit être à tout prix française. Il nous paraît important de souligner ce fait, en même temps que l’on tait, le taire évite de le nier, le rôle déterminant des étrangers combattant dans les maquis et les villes, on oblitère cette séquence historique de sa dimension internationaliste et précisément l’on tait la volonté révolutionnaire qui animait bon nombre de ces combattants pour certains anciens de la guerre d’Espagne, pour d’autres militants communistes dans les pays d’Europe de l’Est.

     

    Qu’est-ce que commémoration et reconnaissance ? En 1955, Louis Aragon écrit un magnifique poème Strophes pour se souvenir figurant dans le recueil intitulé Le Roman inachevé. Cela coïncide avec l’inauguration d’une rue parisienne qui portera le nom « Groupe-Manouchian » dans le XXe arrondissement. Le temps des commémorations, du souvenir est désormais à l’ordre du jour. La Résistance dans sa singularité étrangère est admise, voire reconnue mais vidée de sa détermination, de son épaisseur internationaliste. Elle est entièrement circonscrite à ce que les institutions de la République autorisent en termes d’interprétation pour une mémoire respectueuse parfois même religieuse, c’est-à-dire rien de plus qu’une « indignation » devant l’horreur subie par les combattants eux-mêmes en ces sombres années, tortures et exécutions massives, tout cela teinté de vertu « droit de l’hommiste » pour rasséréner ce qu’il reste de conscience. Le rôle du parti communiste est tout à fait remarquable de cette discipline d’omerta et l’indignation lui profite, elle permet de maintenir une sorte de consensus autour de l’histoire de cette période de guerre impérialiste. Pour illustrer notre propos, celui-là alors que tant d’autres pourraient être évoqués, rien de moins que cette parution : Lettres de fusillés publiée par les Éditions Sociales en 1970 avec une préface de Jacques Duclos. Pas une seule fois des combattants de la MOI sont identifiés comme tels, au demeurant seul Missak Manouchian, qui devient Michel Manouchian pour Jacques Duclos, est cité et c’est en page 117 de l’ouvrage que l’on peut lire la lettre qu’il adressa à sa femme Mélinée avant d’être fusillé, lettre amputée d’un passage sans que l’on puisse le justifier par le manque de place.

     

    Lorsque les capitulations d’une époque deviennent les seuls principes et que l’humanité toute entière sombre dans la barbarie, il est plus que nécessaire de réexaminer ce qui, dans l’histoire touche à l’universel produit par l’éveil des révolutions, la dynamique d’émancipation.

     

    Faisons de l’Affiche rouge, de ce qui la produit négativement, une histoire politique. Considérons-la en dehors de la geste commémorative. Qu’est ce lieu « Affiche rouge » en ces temps d’effondrement de la conscience politique ? Qu’est-ce qui est constitutif de cet héritage mémoriel débarrassé de sa dimension émotionnelle ? Posant ces questions, nous pouvons prétendre à une continuité identifiable, nous réapproprier un sens retenu par le gouvernement chronologique de l’histoire, nous pouvons nommer une singularité en tant qu’elle est la condition même de son postulat et qu’elle se réalise dans la conscience. Nous avons déterminé l’Affiche rouge comme étant un lieu, une permanence, dont la multiplicité loin de se soustraire à la mémoire, nous réinvite à son sens premier, à ce qui l’a produit, le combat pour l’émancipation. Le lieu « Affiche rouge » est ce que nous avons défini en termes de proximité, dès lors la trace mémorielle, suffisante pour qui commémore, s’instruit d’un plus dans une autre pratique où mémoire et universalité concentrent le lieu, là où il est défini comme expérience en devenir. Le lieu « Affiche rouge » est donc évolutif, il ne se laisse pas contraindre, il est, au moment de l’identification de la possibilité historique, dynamique de transformation, il se révèle par là même dans son épaisseur révolutionnaire.

     

    Le 21 février 1944, date en devenir de l’Affiche rouge, est un événement dont le lieu « Affiche rouge » se présente à l’universalité des possibles de l’émancipation .

     

    Le 21 février 2014

    Patrice Corbin