Martine Aubry, maire de Lille (PS). | FRED DUFOUR/AFP
Désendettement, inversion de la courbe du chômage, remise à flot de l'éducation nationale : je connais la profondeur de la crise et les dégâts des deux derniers quinquennats, et je suis pleinement solidaire du gouvernement qui, avec courage, s'attelle au redressement du pays. Si justes et efficaces qu'elles soient, aucune des lois votées, aucune des mesures prises ne sera suffisante si l'avenir n'est pas rendu plus visible et surtout plus désirable.
2008 s'éloigne, mais n'oublions pas la leçon que nous avions tirée : nous sommes confrontés à la faillite d'un système. L'heure n'est plus au rafistolage : nous avons la responsabilité de faire émerger un monde nouveau. Oui, c'est à ce niveau que nous devons fixer notre ambition politique, celui d'une nouvelle "renaissance". Renaissance, je choisis ce terme au plus loin de toute idée de restauration d'un temps passé, source de régression et de repli, et en référence aux composantes essentielles du mouvement qui a sorti l'Europe du Moyen Age : l'homme remis au coeur de la société, le progrès scientifique, la nature magnifiée, l'ouverture au monde. Ici, nulle utopie irréalisable : j'ai pu le mesurer encore dans mes déplacements récents en Chine, la France dispose d'atouts incomparables et les prémices de ce nouveau monde sont déjà là. Je crois une telle ambition seule de nature à sortir notre pays du marasme et de la déprime. Les Français ne sont jamais aussi heureux que lorsqu'ils se réunissent autour de grandes ambitions collectives. C'est l'honneur de la politique de mobiliser la nation tout entière sur ce chemin.
RENAISSANCE D'ABORD INDUSTRIELLE
La renaissance doit être d'abord industrielle. Une nouvelle croissance durable pour renouer avec l'emploi et le progrès naîtra à la croisée des nouvelles technologies – numérique, bio et nanotechnologies, énergies renouvelables... et des besoins de l'homme et de la société. Nos atouts, ici, comment ne pas les voir ! L'énergie ? Qui pourrait dénier à la France, qui a été championne dans le domaine énergétique, la capacité de devenir un fer de lance mondial dans le solaire, l'éolien et le géothermique ! La santé ? Nos chercheurs sont à la pointe de l'innovation médicale. Les villes de demain, à la fois durables et mixtes ? Nous détenons toutes les compétences de l'urbanisme et de l'architecture jusqu'au traitement des déchets, au transport, à l'énergie, en passant par l'écoconstruction. Et beaucoup de nos secteurs traditionnels ont trouvé le chemin de l'avenir : les textiles techniques et innovants, l'e-transport, l'e-commerce, l'automobile du futur, l'alimentation de qualité...
Alors arrêtons le défaitisme. Bâtissons un Etat stratège, qui donne les impulsions nécessaires aux filières d'avenr investit dans la recherche, la formation et les infrastructures, et remet la finance au service de l'économie. Surmontons le conservatisme des gardiens du vieux monde, et donnons corps – par la négociation, la réglementation, une grande réforme fiscale – à la sociale écologie de marché : une économie sobre écologiquement, une économie de la coopération plutôt que la mise en concurrence de tous, et une économie du bien-être plutôt que du tout-avoir, qui, sans renoncer à satisfaire les besoins matériels, rompt avec le consumérisme en reconnaissant le logement, la santé, l'éducation et la culture comme des éléments structurants de la société. Tels sont les contours d'une révolution industrielle que notre génération a la responsabilité de faire advenir !
MODÈLE SOCIAL ÉBRANLÉ
La renaissance doit être aussi celle de l'action et des services publics. Notre modèle social est ébranlé dans ses équilibres financiers, et peine à réduire les inégalités. La droite a voulu en tirer profit pour le mettre à terre. Nous, nous devons le réformer pour le conforter, car nous savons qu'il n'est pas d'égalité réelle sans services publics performants. Dans une société où à la fois la demande d'autonomie est forte et les disparités plus grandes que jamais, l'enjeu majeur est la personnalisation des réponses à apporter, sans rien perdre des protections collectives. C'est possible avec une éducation nationale qui offre à chaque enfant des pédagogies et des rythmes adaptés à ses difficultés comme à ses facilités : c'est là la refondation de l'école. Avec une sécurité sociale professionnelle donnant à chacun la possibilité de progresser tout au long de sa vie professionnelle et de rebondir en cas de difficulté.
Avec une décentralisation qui fait de la créativité de nos régions et de nos métropoles le terreau du développement du pays ; et de nos villes et départements le bras de proximité d'une solidarité nationale garantie par une puissante péréquation. Avec une réforme des retraites qui, plutôt que de considérer l'allongement de la vie comme un problème, propose – compte épargne temps, prise en compte de la pénibilité et de la précarité, dépendance, place des seniors dans la cité... – de transformer ces années ajoutées à la vie en vie ajoutée aux années. La question de l'équilibre des régimes doit être traitée, mais elle se réglera dès lors que nous portons une réforme de société, et non une vision comptable.
RENAISSANCE EUROPÉENNE
Une nouvelle renaissance ne peut être que résolument européenne, à condition de remettre l'Europe sur de bons rails. L'Europe devrait être, comme le dit si bien Jacques Delors, la compétition qui stimule, mais aussi la coopération qui renforce, la solidarité qui unit. C'est pour s'en être arrêtée à la première partie du programme – le marché unique – et avoir négligé les autres qu'elle s'est éloignée des peuples et nourrit les populismes.
La renaissance européenne exige la relance, tant les politiques d'austérité de ces dernières années ont été mortifères. Elle appelle ensuite une "super-politique" de cohésion sociale pour reconstruire l'appareil productif des pays comme la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Elle passera aussi par une coopération renforcée entre les nations qui voudront aller plus vite : un exécutif européen doté de ressources propres comme la taxe sur les transactions financières ou l'impôt écologique ; l'harmonisation fiscale et sociale ; le "juste échange" comme doctrine commerciale pour nous battre à armes égales avec la Chine, l'Inde, l'Amérique, le Brésil... Le nouveau monde passe par l'Europe, mais aussi par une France écoutée et respectée, comme quand elle s'engage au Mali.
RENAISSANCE INSPIRÉE PAR LA CULTURE
La culture aussi doit inspirer cette renaissance. Il n'est pas pour moi de grand projet politique sans ambition culturelle. La culture est une force d'émancipation pour chacun et le ferment d'une vie collective par le partage d'émotions. Elle tend à chaque génération son miroir, elle en inscrit aussi la trace, c'est-à-dire le patrimoine de demain. Voilà pourquoi j'espère pour la France une renaissance culturelle, généreuse, comme chaque alternance en a produit, en 1936 comme en 1981. Le soutien à la création et l'éducation artistique sont à cet égard prioritaires.
La renaissance que j'appelle de mes voeux doit concerner aussi nos valeurs, particulièrement pour donner toute sa force au vivre-ensemble, malmené par le repli sur soi et l'individualisme, et menacé par le communautarisme, les extrémismes et fondamentalismes. C'est la laïcité, cet écrin qui permet à la France d'abriter toutes les croyances et les non-croyances en son sein. C'est faire respecter par chacun avec fermeté, mais aussi justice, les règles communes.
Voilà ce qui doit guider la réforme pénale. C'est aussi se souvenir que, dans notre devise républicaine, il y a la liberté et l'égalité, mais aussi la fraternité : l'attention de tous à chacun, mais aussi de chacun aux autres. Lorsque je l'ai lancé, ce débat a été caricaturé autour de la notion de care. Il n'en reste pas moins qu'il convient de revendiquer l'altruisme comme une valeur sans laquelle aucune société ne tient debout durablement.
Alors, nourrissons pour la France une grande ambition, celle de lui redonner sa mission historique d'un pays qui ouvre des perspectives pour la culture, la science, l'imagination, la liberté, le bien-être ! Et, pour cela, misons sur le talent des créateurs et des chercheurs, le savoir-faire des salariés, le dynamisme des artisans et des commerçants, des agriculteurs et des entrepreneurs. Sachons mobiliser les collectivités locales, les bénévoles associatifs et syndicaux. Faisons confiance à la jeunesse de France, en cessant de la considérer comme une catégorie dont il faut régler les problèmes – il le faut, bien sûr, chômage en tête ! – mais comme la génération qui, avec ses rêves, ses valeurs, sa culture, est par essence la clé de l'avenir. Ce nouveau monde est à notre portée. C'est une tâche immense mais ô combien exaltante !