Tous les commentateurs, même à droite, s'accordent à reconnaître la bonne entrée en campagne de François Hollande dimanche à son grand meeting du Bourget. Que s'est-il donc exactement passé ? Non pas la présentation de son projet (c'est pour bientot) mais la naissance d'un ego. Mais oui ! Jusqu'à présent, Hollande passait pour un candidat normal, un Français moyen, presque un citoyen lambda, sympathique et intéressant . Il en faut évidemment plus pour faire un président : avoir un tempérament, un style, une épaisseur, bref un ego. Depuis hier, depuis le Bourget, c'est fait !
Pourtant, il est de mode depuis quelques années de dénoncer le bal des egos, de se plaindre des egos surdimensionnés. Ce sont des balivernes : la politique exige d'avoir une forte personnalité, une ambition énorme, une volonté démesurée. Qui croirait qu'on puisse réussir quand on est l'ombre de son ombre, discret, craintif, doux, pas sûr de soi et dépourvu de toute ambition ? Il y a même en politique une part d'agressivité qui est requise, sans laquelle on n'est pas crédible. François Hollande s'est enfin hissé à cette hauteur, il a tissé en lui cet ego sans lequel aucune victoire n'est possible. Laissons la dénonciation de l'ego aux moralistes et aux prêtres ; en politique ça n'a pas sa place.
Qu'est-ce qui me faire dire qu'un ego hier est né ? D'abord la mise en scène de la solitude du candidat pendant son discours : pas de brochettes d'élus ou de responsables derrière lui, comme on en voit trop souvent dans les meetings politiques (le plus drôle c'est lorsqu'il s'agit de brochettes de carpes, muets mais simplement là pour montrer qu'ils sont là !). Le grand politique n'a aucunement besoin d'être entouré. Au contraire, il se méfie des entourages qui souvent enferment pendant qu'ils soutiennent. Un possible vainqueur est un homme seul, qui ne recherche pas par anticipation la fraternité consolatrice et larmoyante des vaincus.
Ensuite l'ego se manifeste dans le discours de François Hollande par l'emploi fréquent du je. Un homme politique qui dit nous a déjà perdu. Il n'assume pas sa responsabilité, il prévoit déjà de la diluer, de partager avec d'autres les raisons de sa défaite. Malheur à qui ne veut pas assumer en politique ! Il est fichu, la population sent qu'il n'ira pas loin. Hollande assume, il parle à la première personne parce qu'il est la première personne. Cette personnalisation est renforcée par les références à son enfance, à sa vie privée dont on se fout pourtant royalement. Mais quand on veut devenir le roi, on ne peut pas s'en ficher, il faut la mentionner, montrer que tout en soi, y compris l'existence personnelle, est au service de l'ambition publique.
Enfin il y a le discours en lui-même : non pas une série barbante de mesures prononcées sur un ton monocorde mais des mots qui claquent comme un drapeau, des formules en guise de coup de fouet, tout un style qui fait l'homme, l'ego. J'ai beaucoup aimé, il y avait du souffle, de l'allure (Laurent Fabius cette fois n'a pas pu s'endormir !). Jamais le nom de l'adversaire n'a été prononcé, quoique sa politique ait été sans cesse critiquée. C'est du grand art, à quoi on reconnaît les meilleurs.
Je m'amuse parfois à entendre dans certains discours le nom et les idées de l'adversaire repris plus souvent que le nom et les idées de celui qui s'exprime : c'est tout de même fabuleux de faire ainsi la promotion de la personne qu'on veut abattre ! Hollande est très loin de cette stupidité . Qu'il continue ainsi, avec cet ego forcément surdimensionné qui mène le bal de la présidentielle : à force il finira par devenir président de la République.