Mon cher Jean-Luc,
Je viens de regarder le débat sur France 3 , et , je me permets de t'écrire .
La gauche est plurielle mais elle partage les mêmes valeurs. La gauche désunie ne peut les faire triompher. Tu estimes à juste raison être partie prenante de la victoire de la gauche aux présidentielles. Mais tu as d’emblée avant même le premier pas gouvernemental, décliné toute participation, à l’action de redressement de la France. Tu aurais pu être déçu dans le soutien, tu es parti sur un préjugé : je n’en serai pas. Voilà pourquoi les critiques qui sont, tu en conviendras, systématiques ont moins de force. Car d’emblée, avant toute décision, tu as estimé déjà la victoire trahie.
Dans ta rhétorique, il n’y a jamais de place au bilan des droites depuis dix ans, jamais de critique du PPE qui conduit l’Europe à la récession.
Il ne s’agit pas de te demander un accord avec les socialistes, les écologistes, les républicains, les radicaux au pouvoir, mais dans un souci d’éducation du peuple, comme tu le souhaites, de distinguer les responsabilités. Ce ne serait au passage que justice.
Car rien ne trouve grâce à tes yeux, ni la revalorisation de 25 % de l’Allocation de rentrée scolaire (ARS), ni la hausse du SMIC, dès l’été 2012, ni le relèvement de 20 à 25 % du seuil minimal de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants, ni l’encadrement des loyers, pour éviter les augmentations abusives, ni la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, ni le déblocage de 50 millions d’euros pour l’hébergement d’urgence, ni la création des emplois d’avenir, dont le lancement est intervenu dès novembre 2012, ni la création des contrats de génération, ni la suppression de la franchise médicale de 30 euros en vigueur depuis 2011 pour les personnes sans-papiers, ni le rattrapage du RSA socle (+10 % d’ici 2017) et la réforme du RSA activité (contre le non-recours), ni la « Garantie » jeunes pour les 18-25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en formation, en situation d’isolement et de grande précarité ; Il s’agit d’un contrat annuel, passé avec le service public de l’emploi, comportant des engagements réciproques ; ni l’augmentation du montant de l’Allocation de soutien familial (ASF) et la majoration du complément familial (CF), ni la baisse du plafond de la CMU complémentaire pour permettre à 500 000 personnes d’accéder à une prestation complémentaire, ou les investissements pour l’hébergement (8 000 places supplémentaires) et l’accès au logement (prévention des expulsions, intermédiation locative, etc.), voire le renforcement de l’accès aux crèches et aux cantines scolaires pour les enfants de famille en situation de pauvreté, la création d’un registre national des crédits aux particuliers – « fichier positif » – pour participer à la lutte contre le surendettement, le plafonnement des frais bancaires pour les plus fragiles, à la faveur de la réforme bancaire.
Et tout ceci dans le cadre budgétaire contraint que tu balayes d’un revers de manche mais qui pèse sur les décisions publiques.
Tu peux ne pas dire bravo, mais au moins un « ça je prends », pour te paraphraser. Rien ! Même chuchoter.
Nous attendons un satisfecit qui ne vient jamais, comme si tu étanchais ta soif d’absolu à l’eau salée de ton amertume. Comme si dans notre défaite, il y aurait une secrète victoire contre le PS.
Comme hier l’extrême gauche, tu considères l’UMP et le PS comme un bloc à combattre en bloc.
Mais même si cela était vrai –ce qui reste à démontrer- comment peux-tu espérer triompher, entraîner, voire unir, dans ce classe contre classe d’un autre temps.
Il n’y a plus de rapport de force global ou national. Il n’y a plus de contradictions dans la société. Il n’y aurait que toi portant la vérité d’un peuple engourdi et une classe médiatico-politique unie dans la volonté de te nuire.
Même ton combat contre le Front national ne souffre pas d’alliés car ce serait le dénaturer.
Tout pas en avant est pour toi un renoncement. Toute tentative de soulager la peine des Français un pis-aller.
Tu te plains, après des charges répétées, d’être maltraité par les socialistes. Mais tu dédaignes toutes les mains tendues, toutes les actions communes. Jusqu’à lancer une campagne contre l’austérité, qui désigne de fait le PS comme responsable.
Ce splendide isolement indispose, certains de tes amis, qui peuvent nous critiquer mais cherchent à être utiles. Ils reconnaissent l’action sur le terrain et s’étonnent de cette colère que rien ne vient apaiser.
À force d’être dans l’excès, on n’entend plus rien. Non, François Hollande, ce n’est pas Sarkozy. Il n’y a pas de Merkhollande. Dire comme Nicolas Sarkozy qu’il n’y a qu’une politique possible : celle que préconisait Mme Merkel. Ce n’est pas dire qu’il faut maintenant la croissance, la régulation bancaire, voire la taxation des mouvements de capitaux comme le défend le président François Hollande. Enfin, il ne t’as pas échappé que Mme Merkel a appelé à voter aux élections présidentielles pour Nicolas Sarkozy, pas pour François Hollande.
"Après Pierre Moscovici, c'est maintenant Manuel Valls qui est la cible de tes attaques . Et comme d'habitude tu ne fais pas dans la dentelle : extrême droite du Parti socialiste , contaminé par le Front National , encore un pas et tu le traiteras de fasciste. C'est indigne du débat dans la gauche .
Tu n’as pas le monopole des ouvriers, des salariés, des sans-grade. Chaque jour, les élus socialistes dans les collectivités que nous gérons ensemble s’échinent à les défendre, à les protéger.
« Tôt ou tard notre heure va venir », dis-tu. Mais avec qui ? Pour quoi faire ? Je me permets de te dire sans vouloir t’offusquer que les dits salariés n’ont pas le temps d’attendre. C’est maintenant qu’il faut mettre les mains dans la boue d’un système, d’un modèle à bout de souffle.
Enfin, qui menace qui ? Tu parles de déluge contre le président de la République, le gouvernement ou les socialistes que tu traites de va-nu-pieds solfériniens . Et tu t’offusques que l’on trouve cela inopportun, que l’on s’interroge sur les alliances à venir.
Qui veut rompre l’ancestrale alliance de la gauche ?
Tu as le droit de le penser. Mais tu permettras de te dire amicalement que cela n’a jamais mené nulle part. Et surtout, ceci a toujours permis « aux autres » de porter des coups plus durs.
Je crois avec détermination à l’union des forces de gauche et des écologistes. Cela n’a jamais été pour moi, arrêter de penser différemment, ni se mettre au garde à vous parce qu’on hausse la voix, mais être utile à la gauche dans le respect de ses composantes.
Alors, il n’est pas trop tard pour hiérarchiser les critiques, de démêler ce qui est bon et de marcher côte à côte.
Ce n’est pas s’aligner, c’est une question d’efficacité.
Nous ne te demandons pas de cesser de dire ce qui ne va pas. Nous n’avons ni cette prétention, ni cette vocation. Nous te demandons de temps en temps de dire que la gauche fait des choses bien.
Mais serait-ce aujourd’hui trop te demander ?
Amicalement