Comme chaque année je me suis amusé depuis hier à me mettre dans la peau d'un candidat en Littéraire, passant l'épreuve de philosophie . Voici les thèmes abordés
Respecter tout être vivant , est ce un devoir moral
Le problème de cette question, c'est que le respect n'a de valeur morale que pour et entre les êtres humains. Or, le sujet porte sur TOUT être vivant, quel qu'il soit. Je répondrais que ce respect est impossible, absurde et même dangereux, puisque bien des créatures vivantes sont inquiétantes ou périlleuses pour l'homme. Et puis, il n'y a de vrai respect que mutuel : j'ai beau respecter une fourmi ou une salade, elles ne me respectent pas, elles sont indifférentes à moi !
Alors, sous quelles conditions le respect de tout être vivant peut être considéré comme un devoir moral ? D'abord, la fragilité et la mortalité des êtres vivants invitent à les respecter. Ensuite, le vivant animal est souvent susceptible de souffrance : là aussi, cette expérience tragique de la douleur incite à respecter ce qui vit, à y faire très attention. Enfin, chaque être vivant, quand on l'observe bien, est une merveille d'organisation et de beauté, qui forcent au respect, et même à l'admiration. Je conclurais en disant que respecter tout être vivant est un devoir parce c'est se préparer à respecter tout être humain.
Suis-je ce que mon passé a fait de moi ?
Question moins facile, qui interroge l'identité personnelle et ce qu'elle doit à son passé. On pouvait se référer à SAINT AUGUSTIN, qui a beaucoup réfléchi à la question du temps, mais aussi, dans un tout autre genre, à FREUD, le rôle capital de l'enfance dans la construction du psychisme. Si le passé est fondateur de mon être, il est aussi un carcan : je suis toujours beaucoup plus que mon passé, je suis une volonté qui va de l'avant. De ce point de vue, je suis ce que je suis beaucoup plus que ce que j'étais. Et ce qui donne toute sa valeur à un être humain, c'est ce qu'il compte devenir, ce qu'il s'efforce d'être en vue de l'avenir.
Commentaire de texte de TOCQUEVILLE
Il provenait d'un extrait de son ouvrage : De la démocratie en Amérique, du rôle que joue dans ce pays l'opinion beaucoup plus que la raison. "Il n'y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances", mais quelles croyances ? voilà une idée qui était à développer et à soumettre à la critique : car il y a aussi des croyances dangereuses, qui peuvent faire basculer une société vers le pire. Mais une société au comportement rationnel et objectif est-elle concevable ? C'est ce qu'on pouvait mettre en débat.
Ce commentaire portait sur la démocratie, sa valeur de vérité, sa rationalité. A noter que Spinoza, sur ce point, prend l'exacte contrepied de TOCQUEVILLE : l'un affirme que la démocratie repose sur la raison, l'autre sur les croyances.
Sans doute parce que je suis plus tocquevillien que spinoziste, j'aurais soumis le texte à la critique : est-on certain qu' "il est presque impossible que la majorité d'une grande assemblée se mette d'accord sur une seule et même absurdité" ? L'histoire prouve hélas que non. La faute collective, l'aveuglement de masse existent. En revanche, il est une impossibilité que pourtant Spinoza défend et qui fait pécher son raisonnement : "seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison". C'est certainement une représentation idéale du citoyen en démocratie, mais très éloignée de la réalité.
La conscience de l'individu n'est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?
Cette question pas facile avait cependant le mérite de s'adresser à des candidats de la série économique et sociale, qui pouvaient à ce titre puiser quelque inspiration dans leurs cours de sociologie et d'économie. La référence à la conscience de classe chez Karl MARX était pertinente, et pourquoi pas l'approche psychologique, en recourant à FREUD et son surmoi, notre conscience étant formée par notre éducation, depuis la plus petite enfance. Mais il était aussi indispensable de défendre l'autonomie de la conscience à l'égard des structures sociales : pour DESCARTES, ("je pense, donc je suis"), la conscience est souveraine, indépendante, elle ne doit absolument rien à la société.
Ce sont , à mon avis deux sujets comparables La politique, c'est casse-gueule : les candidats sont enclins à s'enfermer dans l'actualité (alors que la philosophie est intemporelle), à reproduire des préjugés (les politiques, tous menteurs !) alors qu'on leur demande de prendre du recul, d'avoir un esprit critique. Le sujet sur l'art est beaucoup plus neutre, plus favorable à une réflexion ouverte et détachée.
Cependant, la question comportait un petit piège : une oeuvre d'art a-t-elle TOUJOURS un sens ? Qui n'a pas saisi cette nuance dès le départ risquait un hors-sujet. Et puis, il fallait bien définir la notion de SENS : signification, compréhension, intentionnalité. Bref, l'oeuvre d'art est-elle nécessairement dépositaire d'un message, peut-elle se livrer à un commentaire, à une explication ?
A première vue, la réponse est non : l'oeuvre d'art est faite pour être appréciée, admirée, contemplée, pas pour être comprise. Elle sollicite nos sens, pas notre intelligence. La peinture d'un bouquet de fleurs n'a strictement aucun sens : sa seule finalité est la beauté. Elles sont nombreuses, les oeuvres d'art qui nous livrent une part du réel, sans le charger ou le surcharger d'aucun sens particulier.
Et pourtant, dans un second temps, on peut remarquer que bien des créations artistiques ont un sens caché, à décrypter. Par exemple, le tableau de PICASSO? Guernica? n'est pas seulement une belle peinture : c'est une dénonciation de la guerre, c'est une oeuvre pacifiste. On pouvait ainsi se référer à Emmanuel KANT, qui distingue l'oeuvre d'art agréable à regarder, qui n'a pas de sens par elle-même, et l'oeuvre d'art sublime, qui cherche à nous transmettre quelque chose (par exemple la joie ou la liberté dans les symphonies de BEETHOVEN).
Je conclurai la dissertation en soutenant que l'oeuvre d'art a non seulement TOUJOURS un sens (l'artiste y met quelque chose de lui, ne serait-ce que son style), mais elle en offre plusieurs, car le spectateur peut la percevoir avec sa propre interprétation, y projeter de multiples désirs.
La politique échappe-t-elle à l'exigence de vérité ?
Au départ, oui, non pas parce que la politique est mensongère, mais parce qu'elle vise autre chose que la vérité : l'intérêt général, le bien commun. Il pouvait être judicieux de distinguer les moyens et les fins, faire appel à MACHIAVEL : la vérité n'est pas non plus un moyen en politique, qui exige plutôt de l'habileté, de la ruse, quand ce n'est pas de la dissimulation. Un scientifique ou un philosophe sont en quête de vérité : un politique est à la recherche du pouvoir. Y a-t-il d'ailleurs une vérité en politique ? Non, seulement des points de vue qui s'affrontent. Conclusion : la politique ne peut pas échapper à une tutelle à laquelle elle n'a jamais été soumise !Le texte de CICERON était parfait pour une classe scientifique, puisqu'il l'amenait à réfléchir sur la différence entre une prévision rationnelle et une prédiction hasardeuse, entre l'anticipation et la divination, entre le calcul et la superstition.