Photo de Gilles Chiroleu, 2007, CC
Souvent citée en modèle après les nombreuses innovations dont elle a témoigné, la gestion de l’eau en France affronte depuis plusieurs années de considérables défis environnementaux, techniques, organisationnels et financiers. Enjeu majeur d’un développement soutenable, les réponses qui y seront apportées définiront pour une bonne part le cadre de vie des générations futures.
Les modalités de gestion de la ressource aquatique inventées en France à l’orée des années 60 font figure de modèle, qui a largement été exporté dans le monde. Elle se caractérise par la prise en compte de tous les enjeux liés à l’eau à l’échelle d’un bassin versant, soit le territoire baigné par un fleuve ou une rivière, de sa source à son embouchure. Ce qui permet de réguler tous les usages de l’eau : pour l’alimentation humaine, l’énergie, l’industrie, l’agriculture, les loisirs, la préservation et l’amélioration des milieux aquatiques… Et de déployer une gouvernance qui associe un très grand nombre d’acteurs au sein d’institutions spécifiques, qui participent aux côtés des services de l’Etat et des grandes entreprises privées du secteur à la mise en œuvre d’actions et de programmes, de plus en plus orientés depuis une vingtaine d’années par des directives communautaires, dont la plus importante, la Directive-cadre sur l’eau d’Octobre 2000, largement inspirée par les acquis de « l’Ecole française de l’eau », impose à tous les états-membres de rétablir un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau à l’horizon 2015.
Un défi gigantesque
Le défi est immense, compte tenu de la dégradation croissante de la qualité des ressources en eau, massivement polluées par des rejets agricoles, urbains et industriels. Il engage à des investissements qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros. De surcroît, il s’agit désormais de passer d’une logique de moyens à une obligation de résultats qui, s’ils ne sont pas atteints, peuvent entraîner de lourdes sanctions communautaires, soit des amendes qui peuvent atteindre des dizaines, voire des centaines, de millions d’euros.
Dès les années 60 la dégradation de la qualité de l’eau pouvait s’observer en cotoyant les rivières françaises. A cette époque, les usines et les villes étaient rendues responsables de la pollution de l’eau. La pollution agricole commençait à se manifester. De nature diffuse, ses effets étaient difficiles à repérer. Elle était donc ignorée des décideurs, des médias, et donc du grand public. Quant aux pollutions ponctuelles, elles étaient déversées dans un océan d’eau douce, lacs, fleuves et rivières, de bonne qualité générale, et dont l’état biologique était assez peu différent de ce qu’il avait été au cours des siècles précédents.
Agriculture et pollution
Accomplissant sa « révolution chimique », l’agriculture a commencé à peser très fortement dès les années 50 sur la dégradation de la qualité de l’eau. Engrais et pesticides de synthèse se sont répandus. Les doses ont très vite été augmentées. Puis cette utilisation massive s’est généralisée sur toute la surface agricole utile, soit environ 60% du territoire national, d’où un impact très important.
Cet excès d’engrais dont une partie s’échappe des sols, a fortement contribué à l’eutrophisation des eaux douces et des eaux du littoral, ainsi qu’à la pollution des nappes d’eau souterraines par les nitrates. Les pesticides et autres biocides, souvent diffusés sous forme d’aérosols, après avoir contaminé l’air, les sols, les fleuves, la neige des montagnes et des pôles, les produits alimentaires, ont fini par contaminer l’eau des nappes souterraines, la rendant parfois, et de plus en plus souvent, impropre à la consommation humaine.
Dans les eaux superficielles, l’effet de ces produits a eu un effet dévastateur sur les écosystèmes. Il suffit qu’une bouffée de pesticide circule dans une rivière, pendant un temps relativement bref, une seule fois dans l’année, pour que tout l’édifice biologique soit appauvri. En fait, on observe aujourd’hui que la contamination est quasiment généralisée et se manifeste en permanence.
Un enjeu de société majeur
L’amélioration réelle des ressources en eau est notamment liée à l’évolution des pratiques agricoles, qui dépendent elles-mêmes des nouvelles orientations de la Politique agricole commune (PAC), qui sera révisée en 2013. Des efforts considérables vont par exemple devoir être engagés pour rétablir la qualité des eaux en Bretagne, particulièrement affectées par les effluents des élevages hors-sol qui y sont concentrés.
Par ailleurs le financement des politiques publiques va être très fortement contraint par les investissements gigantesques qui vont devoir être consentis pour rénover les réseaux d’adduction d’eau potable et d’épuration des eaux usées qui entrent dans une période de renouvellement accéléré, avec la difficulté de l’acceptabilité sociale d’une forte augmentation du prix de l’eau, qui financera ces travaux dans les années à venir.
Les effets déjà avérés du réchauffement climatique vont par ailleurs entraîner une forte variabilité d’événements hydrologiques extrêmes, inondations ou sécheresses, qui imposent de mettre en œuvre une nouvelle gestion intégrée des ressources.
Nouveaux défis
Enfin de nouvelles inquiétudes sanitaires se font jour, qui vont imposer une sophistication croissante des traitements appliqués à l’eau et se traduisent par l’adoption de normes de plus en plus sévères. De nombreux « risques émergents pour la santé », à l’origine desquels on trouve les innombrables substances chimiques ou pharmaceutiques présentes dans l’eau, mobilisent les acteurs de l’eau, qui s’efforcent de répondre aux interrogations croissantes de l’opinion publique qui témoigne de son inquiétude en recourant de plus en plus massivement à la consommation d’eau en bouteille. Ce qui diminue le financement des politiques publiques. Enfin, ultime paradoxe, plus nous économisons l’eau, en restreignant notre consommation quotidienne, démarche louable, mais aussi en nous dotant, par exemple, d’équipements de traitement ou de récupération de l’eau de pluie, et plus le financement des politiques publiques s’en trouve là encore affecté…
Les défis de la gestion de l’eau en France à l’horizon des toutes prochaines années sont donc considérables. Ils ne seront surmontés qu’au prix d’une remise en cause radicale des activités qui portent atteinte aux ressources aquatiques, comme des comportements individuels.
On découvre ainsi seulement aujourd’hui, avec près de quarante ans de retard, que l’utilisation de certains composés chimiques, les polychlorobiphéniles (PCB), notamment dans les transformateurs électriques, à littéralement empoisonné les poissons présents dans les fleuves français, dont la consommation est désormais interdite. Des centaines de milliers de tonnes de sédiments sont en effet contaminés par ces « Polluants organiques persistants », l’un des douze composés chimiques qui ont été classés par l’ONU comme les plus dangereux pour la santé humaine.
Autre exemple, l’hypothèse de développement massif d’agrocarburants, en complément ou en substitution des cultures actuelles, doit être étudiée au regard de son impact sur la qualité des ressources en eau.
L’eau n’est plus seulement un enjeu technique, dévolu aux ingénieurs, mais un véritable enjeu de société, qui conditionnera l’avenir des générations futures. Nous n’en avons pas encore pris toute la mesure.