François Hollande, le 2 janvier 2012 à Paris. (Frédéric Stucin / M.Y.O.P.)
Je suis candidat à l’élection présidentielle pour redonner à la France l’espoir qu’elle a perdu depuis trop d’années. Les Français souffrent. Ils souffrent dans leurs vies : le chômage est au plus haut parce que la croissance est au plus bas ; la hausse des prix et des taxes ampute leur pouvoir d’achat ; l’insécurité est partout ; leurs emplois s’en vont au gré des fermetures d’usines et des délocalisations industrielles ; l’école, l’hôpital sont attaqués et n’assurent plus l’égalité entre citoyens ; l’avenir semble bouché pour eux et pour leurs enfants ; la jeunesse se désespère d’être maintenue en lisière de la société. Les Français souffrent aussi dans leur âme collective : la République leur paraît méprisée dans ses valeurs comme dans le fonctionnement de ses institutions, le pacte social qui les unit est attaqué, le rayonnement de leur pays est atteint et ils voient avec colère la France abaissée, affaiblie, abîmée, «dégradée».
La dépression économique est là, l’angoisse sociale est partout, la confiance nulle part. J’affirme avec netteté où se situent les responsabilités. Certes, depuis 2008, il y a la crise. Elle est le produit de la mondialisation débridée, de l’arrogance et de la cupidité des élites financières, du libéralisme effréné, sans oublier l’incapacité des dirigeants européens à dominer la spéculation. Il y a surtout les politiques injustes et stériles menées depuis dix ans, les fautes économiques et morales de ce dernier quinquennat. Il y a donc la responsabilité personnelle de celui qui est au sommet de l’Etat depuis cinq ans.
Un mandat se juge sur ses résultats, une politique sur sa cohérence, un caractère sur sa constance. Comme les choses seraient faciles si l’échec devenait une excuse, si l’expérience - même malheureuse - devenait une justification opportune de poursuivre et l’abandon des promesses, une preuve de courage ! Et pourtant, telle est l’ultime contorsion tentée par le président sortant : incapable de trouver une issue à la crise de la zone euro après seize «sommets de la dernière chance» en à peine deux ans, il voudrait qu’on lui laisse encore le temps d’y porter remède, sans qu’il nous indique - hormis la rédaction d’un nouveau traité européen - ce qui serait de nature à le voir réussir là où il a échoué. Impuissant face à la montée du chômage, le voilà qui convoque une ultime réunion avec les partenaires sociaux pour nous dire qu’il faut traiter avec plus de considération les demandeurs d’emploi. Indifférent aux creusements des inégalités après avoir multiplié les indulgences aux plus fortunés, il annonce, comme pour retrouver une soudaine vertu, qu’il taxera les transactions financières sans nous préciser quand - et comment le pourrait-il dès lors que la décision lui échappe dans son exécution ?
La mystification est grossière. Je ne la sous-estime pourtant pas. Une campagne électorale est un moment particulier, où bien des choses peuvent être dites, bien des mensonges proférés, bien des paradoxes présentés comme des vérités de bon sens. J’entends déjà les lieutenants paniqués de Nicolas Sarkozy prétendre que dans la tempête il ne serait pas sage de changer le capitaine. Ce qui prête à sourire quand le navire s’est échoué. Et bientôt, il ne lui restera plus qu’à proclamer qu’il a changé, que les événements l’ont changé, que la fonction l’a changé, que l’échec l’a changé… Posons d’ores et déjà la bonne question à ce sujet : plutôt que de reconduire un président qui aurait tellement changé, pourquoi ne pas changer de président, tout simplement ?
C’est cette responsabilité qui m’incombe. Celle de permettre le changement. Un vrai changement. Ce n’est pas ici le lieu d’analyser ce qu’aura été ce quinquennat. Disons simplement que ces cinq années auront été la présidence de la parole et, lui, le président des privilégiés. Voilà la page que je veux tourner. Je mesure la difficulté de la tâche qui m’attend si vous m’accordez votre confiance. Le redressement de nos comptes publics comme celui de notre appareil productif sera long. La reconquête de notre souveraineté financière exigera des efforts considérables et surtout de la justice. Le retour de la confiance appellera une politique qui mobilisera les Français autour de l’avenir : l’éducation, la recherche, la culture, la transition énergétique et écologique.
Je sais aussi nos atouts. Nous sommes un grand pays disposant d’immenses savoir-faire, de remarquables entreprises, d’une recherche féconde, de services publics de grande qualité, d’une démographie dynamique, d’une épargne abondante, d’un attachement profond aux valeurs de la République. Nos ouvriers, nos techniciens, nos ingénieurs, nos chercheurs, nos savants, nos fonctionnaires sont parmi les meilleurs du monde. La productivité de notre travail est une des plus élevées de toutes les économies développées. Notre vie intellectuelle et artistique demeure une des plus riches et suscite toujours l’admiration des peuples.
Cent dix jours nous séparent du premier tour de l’élection présidentielle. Ce scrutin interviendra dans un contexte que rarement notre pays aura connu depuis le début de la Ve République. La France a pourtant traversé bien des épreuves en un demi-siècle : des crises économiques, de graves mouvements sociaux, de véritables ruptures civiques aussi. Mais en 2012 le choix que vous aurez à faire sera décisif. Décisif, il le sera pour vous, pour vos enfants, pour l’avenir de votre patrie, pour l’Europe aussi, qui attend et espère entendre à nouveau la voix de la France, une France dont elle a besoin pour retrouver un projet et un destin.
Pour la première fois depuis longtemps dans notre histoire nationale, ce choix dépassera, et de loin, les seules questions politiques et partisanes. Comme en 1981, comme en 1958, ce qui est en jeu dans cette élection et dans le choix que feront les Français, c’est plus que la seule élection d’un président, plus que la désignation d’une majorité, plus que l’orientation d’une politique : c’est l’indispensable redressement de la Nation. Ce redressement est possible. Pour le réussir, quatre principes m’inspireront.
La vérité : je ne serai pas le président qui viendra devant vous six mois après son élection pour vous annoncer qu’il doit changer de cap, qui reniera ses promesses faisant mine de découvrir que les caisses sont vides. Les Français sont lucides, ils savent que nous aurons besoin de temps, qu’il faudra faire des efforts à condition qu’ils soient partagés ; mais ils préfèrent des engagements forts sur l’essentiel à un catalogue de propositions.
La volonté : il en faudra pour rétablir les comptes publics, pour relancer la croissance, pour soutenir les emplois. Il en faudra pour redonner confiance aux entrepreneurs, aux salariés, aux fonctionnaires, aux chercheurs. Il en faudra pour réduire les inégalités, répartir différemment les richesses. Il en faudra aussi pour réussir la transition énergétique. Il en faudra surtout pour maîtriser la finance.
La justice : la justice, c’est un impôt équitablement réparti selon les capacités de chacun. La justice, c’est une société qui ne tolère aucun privilège. La justice, c’est ne reconnaître que la seule valeur du mérite. La justice, c’est une école qui accorde la même attention à chaque enfant. La justice, ce sont des soins accessibles à tous. La justice, c’est de pouvoir vivre de son travail. La justice, c’est pouvoir profiter d’un vrai repos après des années de labeur. La justice, c’est vivre en paix et en sécurité partout. La justice, c’est une société qui fait sa place à sa jeunesse.
L’espérance : je veux retrouver le rêve français. Celui qui permet à la génération qui vient de mieux vivre que la nôtre. Celui qui transmet le flambeau du progrès à la jeunesse impatiente, celui qui donne à la Nation sa fierté d’avancer, de dépasser ses intérêts et ses catégories d’âge et de classes pour se donner un destin commun, qui nous élève et nous rassemble. Cette espérance n’est pas vaine. Elle est le fil qui renoue le récit républicain.
Je sais que beaucoup d’entre vous se demandent si notre pays a encore le choix de son destin ou s’il est condamné à appliquer un programme décidé ailleurs ou dicté par les marchés financiers. Beaucoup doutent de notre capacité collective à décider de notre avenir, et de notre liberté de nous mettre en mouvement selon nos valeurs et notre modèle social. Beaucoup s’interrogent sur la réalité de notre souveraineté. A tous ces Français, je veux dire : oui, nous pouvons, même dans une économie mondialisée, maîtriser notre destin. Nous le pouvons en comptant d’abord sur nos propres forces, et en agissant au niveau de l’Europe, à condition que celle-ci soit réorientée. Ce sera une des responsabilités principales du prochain chef de l’Etat. Nous sommes capables de nous dépasser chaque fois que nous nous mobilisons sur une cause qui nous rend fiers. La France est un grand peuple, capable du meilleur s’il retrouve la confiance en lui, la confiance en l’Etat et en celui qui l’incarne.
Je veux aussi combattre ce scepticisme qui mine la démocratie, lever ce doute qui ronge les esprits quant à notre capacité à vivre ensemble. Je veux rappeler que la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose. Il peut y avoir des défis incontournables. Il n’y a jamais une seule politique possible pour les relever. Le prétendre est un leurre ; pire, un mensonge. L’élection présidentielle qui vient sera le moment de la confrontation démocratique, celles des idées, des projets, des visions de la France et de l’Europe, des femmes et des hommes aussi. Je n’ignore rien des tentations d’électeurs souvent issus des classes populaires pour l’extrême droite. Ma campagne sera aussi tournée vers eux. Je leur parlerai net. J’entends leur colère et leur désarroi. Et je leur démontrerai que l’extrémisme, outre qu’il n’apporterait aucune solution à leurs difficultés, n’est pas digne des valeurs de notre pays. Plus que l’irréalisme des positions économiques du Front national ou l’illusion d’un repli derrière des barrières devenues des barbelés, c’est la violence sociale et la vindicte ethniciste qui menaceraient la République. C’est un des enjeux de ce scrutin.
Enfin, je respecte profondément toutes les candidatures de la gauche comme celle des écologistes. Elles peuvent marquer des orientations, affirmer des exigences, ouvrir des alternatives, susciter des débats, mais ce n’est pas faire preuve d’une quelconque prétention hégémonique que de penser qu’il sera difficile pour l’une d’entre elles d’être présente au second tour. Dès lors, il me revient d’incarner l’alternance et de permettre le changement. Rien n’est acquis. Beaucoup va dépendre de la gauche, de son esprit de responsabilité, de son courage, de sa cohérence, de son audace. Mais aussi de la force de ma propre candidature. J’aurai à affronter la droite accrochée à son pouvoir et liée aux puissances de l’argent, je resterai proche de vous pour porter une grande ambition collective : celle de renouer avec l’esprit de justice et l’idée de progrès.
Comme il y a trente et un ans, avec François Mitterrand, si nous savons nous en montrer dignes c’est vers nous que les Français vont se tourner le printemps prochain. C’est vers moi qu’ils porteront leurs suffrages et leur confiance, c’est à moi qu’ils confieront la responsabilité de diriger le pays. J’y suis prêt.