Nous les avons aidé à mourir...
- Les 2134 signataires du Manifeste : texte intégral et liste complète
« Nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir... » Médecins, infirmières, aides-soignantes, ils sont 2 134, en France, à avoir signé le manifeste lancé par le docteur Denis Labayle dans la revue « Pratiques, les Cahiers de la médecine utopique ». Un texte qui fera date, sciemment publié à quelques jours de l'ouverture du procès de Chantal Chanel et Laurence Tramois. Lundi prochain, l'infirmière et le médecin de Saint-Astier comparaîtront devant la cour d'assises de la Dordogne pour empoisonnement et complicité d'empoisonnement
Depuis des années, les questions de fin de vie ne cessent de provoquer dans l'opinion des prises de position parfois violentes, mais aussi d'incessantes interrogations dans le milieu médical. Lorsque le docteur Frédéric Chaussoy avait été mis en examen pour empoisonnement avec préméditation après la mort de Vincent Humbert, un jeune paraplégique qui ne cessait de réclamer d'en finir, 3 000 médecins avaient signé une pétition de soutien.
Enfreindre la loi. Le mouvement lancé par Denis Labayle, chef du service hépato-gastro-entérologie de l'Hôpital sud-francilien d'Evry, va plus loin encore. Si les mots sont soigneusement pesés, le texte est clair. Ses signataires reconnaissent implicitement avoir, au moins une fois, choisi d'enfreindre la loi face à une fin de vie difficile.
C'est en tout cas le message qu'a voulu délivrer un médecin qui aurait pu attendre tranquillement sa retraite prochaine, après presque quarante ans de pratique hospitalière. Mais l'homme, auteur de nombreux livres, dont plusieurs romans, n'est pas du genre à se taire. L'annonce du renvoi de l'infirmière et du médecin de Saint-Astier devant les assises a servi de déclencheur « la goutte d'eau qui fait déborder le vase », comme le dit lui-même le docteur Labayle pour expliquer une démarche sans précédent en France.
Sujet tabou. Car l'euthanasie, si elle touche beaucoup de monde dans une société où les progrès de la médecine ne cessent de repousser les limites du vieillissement, demeure un sujet tabou dans le milieu médical. Les témoignages de familles dans la douleur sont nombreux pour raconter l'implication d'un soignant dans un geste pouvant s'y apparenter. En revanche, les témoignages de ces mêmes soignants sont beaucoup plus rares. Aucun n'ignore, en effet, qu'il peut encourir les foudres de ses pairs et celles de la justice.
Se souvient-on, par exemple, que le bouillant et emblématique cancérologue Léon Schwartzenberg fut suspendu d'exercice pendant un an, en 1991, après avoir avoué publiquement qu'il avait aidé un patient à mourir ? Finalement, la sanction du Conseil de l'ordre fut annulée en 1993 par le Conseil d'Etat, mais pour un simple vice de forme...
Réticences. On comprend dès lors les réticences de certains médecins à évoquer publiquement le sujet. D'autres invoquent, d'abord et avant tout, leur conscience et le serment qu'ils ont prêté.
Face à eux, les signataires du manifeste estiment que la loi reste insuffisante en France. Une loi pourtant modifiée en avril 2005, qui insiste désormais sur la nécessité de respecter la volonté du patient, lequel peut refuser les soins. Le même texte autorise aussi les équipes médicales, en concertation, à ne pas poursuivre certains actes médicaux qui pourraient s'apparenter à un acharnement thérapeutique. Le législateur admet aussi que l'administration de certaines substances, destinées à soulager un patient, peuvent le cas échéant conduire à la mort...
Une sorte de dépénalisation de l'euthanasie dite passive, qui ne satisfait pourtant pas tout le monde. Il y a quelques mois, le rapporteur de la loi, Jean Leonetti(maire d'Antibes), estimait dans ces colonnes que son texte réglait 90 % des cas les plus douloureux de fin de vie. Les tenants de la dépénalisation de l'euthanasie mettent en avant les 10 % restants comme autant de situations dramatiques qui peuvent conduire médecins ou infirmières devant la justice.
Laquelle justice traite au cas par cas les très rares affaires portées à sa connaissance, criminalisant parfois des gestes que ces soignants ont, à un moment donné, estimés nécessaires pour leurs patients